Le Nord

Vous vous souvenez sans doute de la tirade culte de Michel Galabru dans le film « Bienvenue chez les Ch’tis »  (encore !) lorsqu’il décrit le Nord sur un ton apocalyptique. Eh bien en fait c’est ça ici aussi, sauf que vous remplacez le froid par la chaleur et la pluie par la sécheresse…


On change d’État pour entrer dans le Territoire du Nord, sur la carte c’est une simple délimitation tracée à la règle mais sur le terrain ça change un peu plus, vous allez voir.

Subjugués par les paysages où l’on ne distingue que l’horizon à l’infini, attentifs à l’état de la route qui n’a pas de bas côtés folichons, aux autres véhicules, caravanes et road trains qui foncent puisque c’est permis à 130 dans cet État, d’ailleurs un road train nous colle aux fesses, on a intérêt à avancer, pas moyen de stopper, pas de place et un peu de stress de voir ce bolide dans le rétroviseur, alors on laisse passer l’immense panneau d’accueil dans le territoire du Nord. C’est l’inconvénient de la vitesse…. Ah vive la lenteur !

C’est parti pour des centaines de kilomètres à perte de vue sur de longues lignes droites, on ne peut pas dire quand même que ce soit varié, mais cette nature de savane a des charmes envoutants et on se laisse aller, se relayant régulièrement pour que l’autre puisse aussi profiter du paysage.

La prochaine à droite à 900 km

Les distances sont immenses, alors on est prudents, pas question de tomber en panne de fuel dans ce désert, et même si le vent nous pousse dans le dos comme un dément (ça décoiffe quand on sort de notre cabine) si nous étions à vélo on aurait battu tous nos records.

A la première station on s’arrête faire le plein et achetons de quoi casser la croute, après quoi on embarque avec nous deux femmes aborigènes, Dana et Alison, elles vont rejoindre leur communauté à Tennant Creek et ont essuyé plusieurs refus de la part des autres voyageurs.

En fait on ne va normalement pas à Tennant Creek, ça fait un détour de 25 km puis il faudra revenir sur nos pas traces, mais on a envie de leur rendre service.

En route on s’arrête soudainement car on rencontre un cycliste, tout seul sur cette ligne droite infinie. C’est un japonais, il nous surprend par son chargement particulièrement léger et hétéroclite, à se demander comment il arrive à s’en sortir avec si peu. Il accepte volontiers notre eau fraiche et des biscuits, d’autant qu’il transporte extrêmement peu d’eau.

Tennant Creek

3000 habitants vivant dans une localité bien paumée entre Katherine à 600 km au nord et Alice Spring à 500 km au sud. La municipalité dessert une région aussi grande que la moitié de la France, dont de nombreuses communautés aborigènes isolées, et vit principalement de l’élevage.

En ce qui nous concerne, de manière très prosaïque, le camping a l’avantage d’exister et de ne pas être cher ; ce ne sera pas une étape mémorable, mais Irène trouvera dans le free stuff (le fourbi gratuit que laissent les gens de passage) un short qui lui va comme un gant, ça fera un souvenir du coin.

Le lendemain, c’est reparti pour le nord, car il faut qu’on rende notre véhicule à Darwin dans les délais impartis et vous avez compris en lisant l’article sur la Relocation qu’il ne faut pas trop trainer en route. Si on a plus de deux heures de retard, on doit payer $ 1 000 de pénalité, gloups !

La route en direction de Katherine est évidemment rectiligne, avec un vent qui fait tanguer notre motor-home aussi aérodynamique qu’un parpaing. Ça ne facilite pas la conduite, et encore moins le harassant travail de secrétariat qui se déroule à l’arrière, mais ça avance tout de même bien.

Le paysage est composé de maigres forets avec de petits arbres, et d’une immensité de touffes de spinifex, tapis herbeux gris bleuté. Cette graminée, aussi appelée Porc-epic, est capable de crever pneus et mêmes réservoirs de voitures et est très inflammable. Même la végétation est agressive dans ce pays !

Mais ce n’est pas monotone, on s’arrête par exemple au monument à la mémoire du Révérend John Flyn, fondateur des Flying Doctors, ou pour voir de plus près ces termitières que de petits malins ont revêtus de différents habits ; un moyen original de se débarrasser de ses vieux vêtements et puis ça fait de la couleur dans le paysage.

On croise très peu de véhicules particuliers, surtout des Utes (Pick-ups) et des caravanes et bien sûr des road-trains qui transportent notamment du carburant ou du bétail. La conduite demande une attention constante, les chauffeurs se saluant en levant les doigts d’une main sans lâcher le volant. La route peut être magnifiquement roulante ou granuleuse, surplombant des talus plus ou moins profonds, ou bien taillée dans le roc.

 

Un village fantôme

Newcastle Water (Marlinja) a été abandonné en 1932. L’école est toujours en activité, desservant les communautés aux alentours, par contre l’église ne semble plus accueillir beaucoup de fidèles, ou alors seulement des fantômes.

Dans cette zone hautement inondable, les lagons sont superbes et c’est une fois de plus parce que nous nous sommes écartés des sentiers battus que nous avons pu avoir le plaisir de les découvrir :

Heike

Cycliste voyageuse allemande, Heike n’a pas froid aux yeux : Elle fait un tour du monde en solitaire depuis 2014 et on regrette bien de ne pas aller dans la même direction qu’elle car ç’eut été un plaisir de parcourir quelques (milliers de) kilomètres ensemble. En tout cas elle est bien contente qu’on la ravitaille un peu en fruits, car elle a du mal aujourd’hui à cause du vent dans le nez (on on reparlera).

Pour la petite histoire, nous serons hébergés dans quelque temps chez Kingsley, un hôte Warmshower qui a reçu Heike… Pour un peu on aurait pu s’y retrouver en même temps.

Daly Waters, 25 habitants

Le lieu, à l’écart de la Stuart Hiway, est célèbre pour son pub historique, dont la license remonte à 1893. Le décor est assez déjanté et farfelu, des clientes de passage y ont laissé en souvenir petites culottes et soutien-gorges, mais on y trouve aussi des T shirts, des cartes de visites, billets de banque ou maillots de club sportifs (et l’intrus du jour), à vous de juger :

Le soir, le pub accueille des chanteurs locaux au répertoire country, tout ceci dans une ambiance décontractée autour du barbecue. Il y a foule, le service se fait en deux fois, chacun est appelé par son prénom pour venir chercher son assiette, ambiance cool et bon enfant, la bière et le vin blanc coulent à flots.

Evidemment, ça parle français dans le coin, une bande de d’jeunes traine par là : Deux filles de Quimper, Vanessa et Nathalie, accompagnées de Mylène et Mathéo. On fera connaissance et une série de photos le temps du BBQ.

A part le pub, il n’y a pas grand chose à voir dans le coin, sauf le « Premier terrain d’aviation international d’Australie », construit à la hâte suite à l’attaque des japonais lors de la dernière guerre. Avec son vieux hangar rouillé et un reste de piste, il n’y a pas de quoi s’éterniser.

Vu qu’on a un engin avec tout le confort à bord, on ne s’installe pas au camping mais juste à proximité. C’est toujours ça de gagné.

Mad Man

Alors là, on n’en croit pas nos yeux : Il y a sur la route un type qui arrive en poussant un chariot de supermarché ! Ce n’est pas un mirage, c’est Christian qui va de Darwin à Adelaide (3 000 km) en poussant un Shopping Trolley (Caddie). Comme il a déjà parcouru l’Australie dans tous les sens à vélo, il a décidé de faire les choses autrement cette fois-ci.

Bien que Suisse, il est doté d’un solide sens de l’humour, ce qui ne l’a pas empêché de préparer sérieusement son projet, il a notamment fait équiper le chariot de grosses roues, c’est quand même plus facile à pousser. Et comme ni lui ni le type qui a installé les roues ne savent combien de temps elles vont tenir (et pour cause, c’est un usage un peu hors normes), il a des roues de secours.

Après ça, la rencontre de Michael, Allemand de 58 ans qui monte à Darwin à vélo ne suscite évidemment pas autant de surprise, pour un peu on trouverait ça d’un commun… En plus il a du bide, mais s’il continue comme ça il va le perdre.

Tiens si on allait voir à quoi ressemblent les sources chaudes de Mataranka (les Bitter Springs) ? Bien qu’avec cette chaleur nous préférions les sources froides, on va sacrément apprécier de pouvoir se baigner à température ambiante. Le site est joliment aménagé bien sur pour pouvoir accueillir tous les touristes qui ne vont pas tarder d’arriver d’içi quelques temps avec le mois de vacances scolaires. En tout cas aujourd’hui il n’y a pas foule et c’est tant mieux pour nous.

Katherine

Voilà un ville dans laquelle nous reviendrons, donc on ne s’attarde pas à part le temps de faire quelques courses et un pic-nic près d’un parc, où des femmes aborigènes saoules viennent essayer de nous soutirer quelques dollars. Ca nous rend tristes de les voir ainsi.

Lorsque nous étions venus à Katherine il y a dix ans, nous ne nous doutions pas que nous en garderions un souvenir aussi marquant, en voici la raison : Pour une fois, nous sommes arrivés tôt au camping, on monte donc la tente et on file se balader au bord de la… Katherine River (Ils ont une imagination débordante, n’est-ce pas). Au retour, nous sommes surpris de voir notre tente s’agiter de soubresauts ; on se dit que ceux qui se sont installés dedans exagèrent d’une part, et que leurs ébats ne sont vraiment pas discrets, d’autre part. Arrivés devant le lieu du crime, Irène demande « Qui est là ? » (en français, évidemment), pas de réponse et ça s’agite encore plus, on ouvre et on découvre un kangourou qui tourne là dedans comme un perdu. Aussitôt libéré, l’animal se sauve à grands bonds et on n’a plus qu’à constater les dégâts : La tente est endommagée, les matelas sont percés et il y a des crottes en guise de cerise sur le gâteau. Ceux qui ont eu l’idée de cette « bonne » blague en enfermant le kangourou devaient bien rigoler dans leur coin, nous on riait jaune.

Edith folle

A mi-chemin de la prochaine ville se trouve la Réserve Naturelle de Nitniluk au coeur de laquelle se déversent les Edith Falls. Un petit détour d’une vingtaine de kilomètres permet de les atteindre et là c’est le coup de coeur : On peut se baigner car le risque de crocodiles est qualifié de faible (Chaque matin les Rangers vérifient s’il y en a, et les retirent le cas échéant) et les chutes qui se jettent dans le trou d’eau sont très belles même si moins spectaculaires qu’en autres endroits. Mais surtout il y a des chemins de randonnée qui permettent de remonter la rivière, accéder à d’autres trous d’eau, et admirer le panorama. Malheureusement, nous sommes arrivés trop tard dans la journée pour faire le circuit complet, on se dit qu’il faudra qu’on revienne à vélos, mais nous prenons tout de même le temps d’une baignade fort agréable, en pensant à ceux qui bossent…

Le coucher de soleil est superbe dans cet endroit étonnant : Alors qu’on traversait des immensités désertiques et plates, on trouve ici de l’eau et du relief.

Mais hélas l’endroit est si idyllique que le camping est plein, et les rangers veillent à ce que de petits malins ne restent sur le parking durant la nuit. Nous sommes donc obligés de quitter le parc, à regret et la nuit arrive. Et pas moyen de trouver un coin pour se poser avec notre monstre à roulettes, on finit par se retrouver sur la Stuart Hiway et ce n’est pas non plus le top pour s’arrêter.

Un road train nous pousse à rouler plus vite que nos 80 km/h, il s’impatiente derrière. On ne va pas bien vite car on n’est pas sensés rouler de nuit (c’est dans le contrat de relocation) et on connait les risques : Percuter un kangourou ou pire, une vache.

Le risque n’est pas que théorique, on le constatera le lendemain en voyant d’abord une vache percutée et bien plus loin la voiture percutante ; les deux sont mortes. Pauvre vache !!!

Pine Creek

On veut revoir Pine Creek où nous nous étions arrêtés il y a 10 ans. La petite ville n’a pas changé (nous, si…). On monte au point le plus haut (à vélo on aurait hésité, mais avec un moteur ça le fait bien) pour avoir une vue sur l’ancienne mine d’or fermée en 1995. Elle est aujourd’hui recouverte d’eau et c’est un magnifique lac artificiel qui s’étend à nos pieds. Certaines mines exploitent encore le zinc et de l’or aux alentours, mais ça n’est plus aussi important qu’à l’époque glorieuse des chercheurs d’or.

La Scenic Road est ce que l’on peut qualifier de charmante, elle nous mène vers l’entrée des parcs nationaux, c’est l’ancienne route qui allait à Darwin. Elle est sinueuse, bordée de forêts et de creeks encore pleines d’eau. Nous sommes surpris de voir du relief et de croiser un road train, on ne s’attendait pas à trouver un tel monstre sur une si petite route mais on apprendra plus tard qu’ils vont partout, même sur les gravel roads (routes non bitumées) car ils transportent le bétail qui vient des fermes.

Certaines parties du bush sont encore fumantes, du fait des incendies contrôlés qui vient à permettre à la forêt de se régénérer. Cette pratique multi-millénaire avait eu tendance à disparaitre lorsque les blancs se sont appropriés les territoires des aborigènes, mais ils ont fini par en reconnaitre l’intérêt et il y a aujourd’hui des agents de l’État qui en sont responsables.

Mais on musarde et le temps passe, il faudrait peut-être penser à rejoindre Darwin pour rendre notre motor-home. Alors c’est parti à nouveau sur la Stuart Hiway, sur laquelle la circulation est de plus en plus dense, et qui ressemble presque à une autoroute de chez nous quand on arrive dans les faubourgs de la ville. Le temps de déposer les sacoches, le vélo d’Irène et sa propriétaire à l’établissement retenu pour la nuit, Joël fonce faire le plein de carburant (facile) et de la bonbonne de gaz (mission impossible, aucune station ne fait ça) et il arrive cinq minutes avant l’heure fatidique à l’agence. La restitution est une formalité, juste un relevé de compteur, même pas le temps de leur dire que l’armoire de toilette partait en morceaux, comme le frigo, ni même que le voyant moteur était allumé depuis 100 km, ils s’en fichent. Ils remboursent illico la caution et les $ 300 de carburant, cool. Même pas vus que la bonbonne de gaz n’est pas remplie.

Bye Bye le motor-home, revoilà les vélos

C’était bien, mais il n’aurait pas fallu que ça s’éternise cette histoire là. Certes, ça rend service, mais on voit bien moins de choses, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ça va bien trop vite. Et puis il était nul, ce truc là, même pas de lave-vaisselle ni de jaccuzi…

Nos lecteurs qui s’étaient désabonnés par dépit (si, si, il y en a eu !) vont pouvoir revenir, nous ne sommes pas rancuniers. A bientôt !

11 Comments

  1. Toujours aussi passionnant ! Mais je suis quand même très contente de voir que les vélos vont être de retour. Pas envie d’essayer un peu le caddie ? 🙂

  2. Finalement, ce désert n’est pas aussi désertique que l’on pourrait croire. On y croise des situations étonnantes.
    Mad Man, voilà, ça c’est top !
    Mais on est content que vous retrouviez le goût de la p’tite reine.
    Alors, en selle pour un nouvel épisode palpitant…
    Bonne continuation.
    Amitiés

  3. Que de rencontres improbables sur ces routes. Moi aussi j’ai eu peur d’un incroyable changement de valeurs. Heureuse de vous revoir poursuivre à vélo.
    Et toujours vos belles photos
    Un régal !
    Amicalement
    Sylvie

  4. Hello super reportage…bien aimé les rencontres avec » les cyclistes »…je suppose qu’is ont quand même pris quelques précautions pour l’eau..bien aimé le « véhicule manuel-caddy-roues  »
    Il pourrait se faire sponsorisé par le fabricant hi!Bien aimé votre rencontre aurthentique avec les « stoppeuses »..ça sera inoubliable!!!..une question que font ils pour entretenir ces routes interminables ?
    A la prochaine …kénavo
    Bernard

  5. Quel fabuleux voyage tout de même, même en camping car, j’ai comment dire … bu vos paroles, c’est tellement bien raconté et plein de fraîcheur malgré la secheresse des lieu , contente que vous enfourchiez à nouveau vos vélos, bisou, bonne route 💚💚💚

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