Diables et tigres

Bigre, fichtre, diantre ! Que viennent faire des diables et des tigres dans cette histoire ? Vous n’allez pas tarder à le savoir mais tout d’abord reprenons le récit là où en était, à la sortie du Parc National de Freycinet.


Le passeur est au rendez-vous à la cale de Swanwick mais il n’a pas la même trombine que l’avant-veille et pour cause, juste un peu plus âgé ; c’est au papa que nous avons affaire.
En deux temps, trois mouvements nos vélos et sacoches sont installés dans la barque et en à peine 10 minutes nous voilà arrivés de l’autre côté à Bagot Point. Merci bien monsieur le passeur, tu nous as ponctionné de $40 mais nous avons gagné une journée de pédalage sur une route pas franchement marrante.

Débarquons les pieds dans l’eau et  replaçons nos sacoches sur les vélos et sommes surpris de constater que contrairement à ce qu’on croyait, la route est goudronnée. Génial ça va rouler tout seul dans un paysage bucolique sur cette bande sableuse de 20 km où des maisons sont bâties nichées dans les dunes. On se demande comment elles tiennent, les fondations doivent être hyper costaud pour faire face au vent qui déstabilise les dunes à chaque saison.

Swansea

Voici une autre petite ville de presque 600 habitants juste en face de Coles Bay sur la rive nord ouest de la Great Oyster Bay.
Adorable petite cité comme on aime à visiter avec évidemment une rue principale et pas grand chose autour. Celle ci a de particulier un drugstore datant de 1838, le Morris’ General Store toujours en activité. Sa remarquable construction en pierres est due à la présence de volcans dans les environs.
Une partie consacrée est à l’alimentation et une autre au magasin général où on trouve de tout, de la petite cuillère au parapluie en passant par l’habillement, les tapettes à souris, les jouets pour les bambins et cahiers d’écoliers… Un sacré bric à brac là dedans, c’est immense dans ce vieux bâtiment, rangées étroites et bien organisées. On déniche une petite pièce-musée avec toute une collection de cahiers de comptes, de vieilles bouteilles, de photos. On faisait crédit à l’époque, les écritures étaient passées à la main.

Le Visitor Center a pris ses quartiers dans ce qui était à l’époque la prison des convicts. La partie Musée est un peu naïve mais sympa.

Nous y découvrons la vie « trépidante » de Louise Anne Meredith, femme du premier colon qui s’y installa avec ses ouvriers. Celui ci n’était pas un convict mais plutôt bien né.
Louise Anne Meredith était une artiste talentueuse qui a laissé derrière elle de belles planches à dessin de la flore locale et a écrit poèmes et romans sur cette partie de l’Australie.
On s’instruit sur les conditions de vie de ces prisonniers, ce n’est pas non plus une page glorieuse de l’histoire anglaise.

Depuis que les Anglais ont récemment décidé de quitter l’Europe, ils veulent renforcer les relations avec leurs anciennes colonies, dont l’Australie. Pas sûr que les Australiens en aient tant envie que ça…

 

La route est toujours superbe avec la mer à l’est, on a une impression de déjà vu : Paysages irlandais du Conémara, moutons éparpillés un peu partout.

À Spicky Bridge se trouvent un énorme pont et une route construits par les prisonniers, un camp était établi ici, les notables du coin y venaient puiser de la main d’oeuvre, de l’homme à tout faire et de la femme à tout faire, non seulement les tâches ménagères, vous imaginez bien de quoi on veut parler. Forcément la population masculine était bien plus nombreuse, quand les femmes aborigènes manquaient on se servait des convictes et celles ci n’avaient pas le droit de rechigner ou d’aller se plaindre au chef de la police. Leur parole ne valait rien et elles se retrouvaient illico au cachot pain sec et à l’eau pour insoumission et rébellion.

 

Mayfield Bay

Encore un spot de rêve, face à la mer. L’endroit est gratuit et tellement convoité qu’on ne trouve pas un carré de terrain plat pour la tente. On s’installe sur la Rest Area Day, de toute façon plus personne ne va venir pique niquer ici à cette heure avancée de la soirée. On fait connaissance de Esteban, un jeune Rennais originaire de Gevezé qui voyage depuis deux ans, avec des périodes de boulot.

Il n’a pas vu ses parents depuis deux ans, aussi il leur a organisé un voyage aux Philippines qu’il connaît bien pour leur premier grand voyage. Il est heureux comme tout de pouvoir les retrouver à Manille dans quelques jours. Un jeune qui fait plaisir à voir et à écouter, bien dans sa tête. Il se dirige vers la neuropathie quand il rentrera, ce ne peut être qu’un garçon bien, sauf quand même qu’il dit que nous pourrions être ses grands parents !!! Ses parents ont la quarantaine et nous soixante…..gloups…….profitons en.

Branle bas de combat le lendemain matin ; au moment de partir il nous manque un téléphone, qui l’a rangé en dernier et ne l’a pas remis à sa place ? On vide les sacoches, rien… On re-déballe la tente, bingo ! Qui a roulé la tente et n’a rien vu ? Pas de scène de ménage devant témoins, non, non !

Ouskilè ?

Beurk !

Nous reprenons notre route en quittant peu à peu la côte pour retrouver l’intérieur des terres. Nous sommes encore une fois ébahis par tous les cadavres de petits opossums et wallabies écrabouillés sur la route, c’est impressionnant. Des cadavres fraîchement fauchés par les voitures, d’autres déjà entamés par les rapaces ou les corbeaux et dont l’odeur nous fouettent les narines bien avant d’arriver sur le cadavre. On en évite souvent, des morts, on ne veut pas rouler dessus, beurk….

Quand on en parle aux locaux, ils nous répondent qu’il y en a de toute façon beaucoup et que c’est inévitable. Ces animaux là, qui vivent principalement la nuit, sont victimes des véhicules à l’aube comme au crépuscule (la nuit les voitures ne roulent pratiquement pas). Ils ne s’en émeuvent pas outre mesure.

Diable !

Et puis les diables de Tasmanie sont là pour faire le nettoyage des cadavres qu’ils boulottent, y compris les os.

C'est l'animal qui, en proportion de sa taille (celle d'un chien), a la plus puissante des morsures, encore plus que la hyène.
Après avoir été pratiquement exterminés par les colons, les voilà maintenant protégés et appréciés des éleveurs dont ils débarrassent les carcasses d'animaux morts, c'est charmant.
Ces petits marsupiaux résistent encore et toujours à l'envahisseur. Pourtant ils sont victimes d'une maladie : la DFTD "tumeur faciale transmissible du Diable de Tasmanie" qui en a décimé près de 80% de la population depuis son apparition au nord-est en 1996.


Le comportement agressif de l'animal a facilité la propagation du cancer, transmissible par morsure d'un individu à l'autre. Ces tumeurs faciales sont mortelles dans environ 100% des cas. Les animaux meurent généralement de faim dans les mois qui suivent, incapables de se nourrir... Néanmoins les chercheurs ont découvert qu'ils avaient développé une résistance à cette maladie et des animaux sains sont réintroduits dans certaines régions, notamment sur l'île Maria.
Leur présence stabilise l'écosystème. Sans eux, certains oiseaux de mer seraient eux aussi en voie de disparition, car le diable de Tasmanie chasse les chats errants et les opossums qui eux-mêmes mangent ces volatiles. La boucle est bouclée, mais quand l'humain y ajoute son grain de sel, bien souvent les effets sont dévastateurs.

Mais là on pourrait y ajouter des pages et des pages de réflexions, alors continuons notre voyage.

Aurore

Nous voilà maintenant sur un relief collineux et c’est en haut d’une descente pour nous, et par conséquent d’une côte pour elle, vous voyez le film ? Que nous rencontrons Aurore, écossaise de 60 ans qui voyage six mois en Tasmanie. Elle n’a pas vraiment le look d’une sportive (nous non plus !) Elle est nouvellement retraitée, très déterminée elle a décidé de partir à vélo. Vêtue d’un joli chemisier blanc à boutons de toutes les couleurs, elle nous attendrit et nous laisse songeur, voilà un sacré bout de bonne femme !

Partie depuis deux jours de Hobart elle avoue quelle en a bavé dans les côtes mais que ca va de mieux en mieux. On lui donne des informations sur le relief à venir, les bons spots de camping ainsi que numéro de téléphone du passeur de Swanwick pour aller à Freycinet. Bon vent Aurore, tu nous donnes une sacrée leçon de courage, voilà une retraitée active et hardie.

Un peu de piquant

On vous a déjà parlé des echidnas (échidnés), ces petits animaux qui ressemblent à des hérissons mais qui ne sont pas du tout de la même famille puisqu’ils sont mammifères et pondent des oeufs, comme les ornithrinques. Nous en avons rencontrés souvent au bord des routes dans les buissons. Dès qu’on s’approche, effrayés ils se cachent le nez dans les fourrés (comme les autruches, ils se croient ainsi invisibles) et se mettent en boule, pas facile de leur voir le nez. Celui là on est restés longtemps à l’observer.

 

 

Miam !

C’est à Triabuna, 800 habitants que partent les ferries pour l’ile Maria. On n’y va pas, peut être le regreterons nous, mais on pour l’instant on préfère filer vers Hobart car nos jours sont comptés, à cause de l’expiration du visa. On va se contenter d’ une incursion au Visitor Center et de dévorer un fish & chips au camion du coin face à la Spring Bay. Comme il y a pas mal de monde devant la boutique on se dit que c’est un bon signe, en effet on va se régaler. (NB : Le fait qu’il y ait du monde n’est pas toujours signe de bonne bouffe, la preuve : Il y a toujours la queue dans les Mc Do !)

Yummy, le fish & chips !

L’étape du soir se fera au camping de Orford, tout neuf, un bébé d’à peine un an avec confort : BBQ, salon de repos et cuisine tip top. C’est la première fois que l’on trouve dans les douches un minuteur de 5 minutes. Joël n’est pas content, seulement 4 minutes pour les hommes, c’est pas juste râle-t’il !

 

Le matin suivant on va entamer les grosses montées en commençant par la Proser River, route étroite le long de la roche, sinueuse, rivière en contrebas sur notre droite qui s’éloigne de nous au fur et à mesure de notre montée, on n’en voit pas le bout et Irène ne veut pas savoir combien de virages nous attendent encore, elle marche au moral !

On s’octroye une petite pause à la Roadhouse Auckland, elle ne délivre toutefois plus d’essence. François et Vicky les Suisses en voiture tente arrivent à leur tour et nous revoilà jouant les prolongations autour d’un sujet qui nous tient à coeur : les convicts et le colonialisme, pour un peu on y serait encore, vaste sujet à creuser pour nos prochaines soirées.

Curieusement, il y a dans ce coin paumé une grosse église Anglicane, elle proclame être ouverte à tous mais elle est fermée ! Etonnamment aussi, de la glace est annoncée sur la route. Un miracle ?

Qu’y a-t’il derrière le virage ? Un motard bourré, un kangourou bondissant ou un vélo sans cycliste dessus…

La pause de midi sera vite expédiée. On arrive transpirant et dégoulinant en haut d’une côte le maillot trempé, vite changé sous un vent qui refroidit nos ardeurs. Bien calés dans nos petits sièges Helinox face au soleil et à l’abri d’un tronc d’arbre on va dévorer notre salade de pâtes aux saucisses, tomates, oignons, poivrons préparée la veille. C’est dur les côtes, nos corps ont besoin d’énergie. Il y a bien des champignons (c’est la première fois qu’on en trouve) mais pas sûr que ce soit bien comestible ces machins là, alors on s’en passe. Alain à l’aiiiiiide !!!!

Poignée de champignons expressément pour Alain

Enfin nous entamons en fin d’après midi les descentes qui nous rapprochent de la capitale. On zigzague encore entre les cadavres (d’animaux), les routes sont bien descendantes et les voitures y ont laissé parfois des morceaux de pare choc ou de rétroviseur… Bien fait !!!
Au petit hameau d’Orielton on s’arrête pour demander de l’eau dans une maison. Nous sommes bien accueillis par Mickaël et sa femme qui sont en train de s’occuper de leur jardin. On se renseigne d’un endroit où on pourrait piquer la tente pour la nuit. Pas de problème, juste en face de chez eux, de l’autre côté de la route se trouve le Community Hall (la salle communale), c’est la que nous allons passer la nuit, protégés du vent et de la pluie annoncés pour la nuit prochaine, installés sur la pelouse fraîchement tondue et protégés des indiscrets par un claustra et une barrière assez haute, nous voilà bien tranquilles face aux monts qui se dessinent devant nous, avec pour voisins des chevaux qui ont largement de quoi se défouler.

La grenouille verte de l’ Albert Simon local avait vu juste, il pleut, les nuages noirs galoppent au dessus des montagnes, mince qu’est-ce qu’on fait ? Déjà que pour aller faire pipi on en revient trempés ! On se prépare quand même pour le départ et filerons à la faveur d’une éclaircie.

Richmond // Locronan

Richemond était un poste militaire stratégique et camp de convicts qui ont construit le fameux pont en grés de quatre arches qui enjambe la Cool river entre 1823 et 1825. C’est le plus ancien pont routier d’Australie toujours utilisé.
Nous allons principalement visiter l’ancienne prison. Vous allez sans doute penser que nous sommes un peu masos de rentrer dans ces endroits sinistres ? Mais détrompez vous, souvent les anciennes prisons sont reconverties en de jolis bâtiments publics mais surtout on y retrouve retracée l’Histoire ainsi que les histoires d’hommes et de femmes qui pour beaucoup étaient loin d’être des criminels endurcis, bien souvent de pauvres bougres qui avaient eu la malchance d’être surpris à chaparder ou à voler pour se nourrir, eux et leurs familles.

Cette prison à de particulier quelle à « acceuilli » des hôtes qui ont donné du fil à retordre à leur geôliers. Elle n’a pas été transformée depuis sa construction. La cour de flagellation, la cellule d’isolement des femmes sont restées intactes. On peut y consulter les listes des détenus, hommes, femmes et enfants. Le registre des bébés qui naissaient et mourraient en prison à la nurserie est édifiant quant au taux de mortalité et les causes. Peu d’enfants atteignaient l’âge de 5 ans, effrayant !

Georges Graver, le flagelleur de Richmond fut découvert assassiné sous le pont. Il était particulièrement cruel. Les condamnés pouvaient recevoir une centaine de coup de fouet, pour qu'ils sentent bien passer la douleur on leur frottait le dos avec du sel, ça avait l'avantage de limiter les infections. Un médecin supervisait les opérations, si le fouetté n'était plus en état de recevoir la totalité de son châtiment, on le retirait du poteau sur lequel il était attaché mais sitôt qu'il était de nouveau d'aplomb on l'y attachait de nouveau pour recevoir le reste... Les bons comptes font les bons amis n'est-ce pas ?

Malgré tout, le pont construit par les forçats est remarquable, c’est évidemment la fierté de la ville.

Bien longtemps avant d’être un phénomène à la mode lancé sur internet, le Flash Mob (Mobilisation éclair) existait déjà :

Le premier flash Mob de l'époque fut organisé par un groupe de femmes conduit par Ellen Scott, une irlandaise contre le prédicateur de la prison, le révérend William Bedford, que les détenues appelaient «Saint Willie». De jour, il réprimandait les femmes pour leurs manières déloyales.La nuit, le père marié avec trois enfants, se chargeait lui même de la rédemption morale des femmes en les abusant.
Un beau matin, devant les marches de la chapelle, sa congrégation récalcitrante prit les choses en main, «débauchant» le saint hypocrite et essayant de «lui ôter sa virilité».
Au cours d'un autre service, Ellen Scott et ses compagnes, n'en pouvant plus ont soulevé leurs cotillons et montré leurs fondements (les pauvres ne portaient pas de sous-vêtements) et elles se sont giflées les fesses en chantant devant Saint Willie et devant le reste de la congrégation amusée.
Les prisonnières pouvaient rendre à moitié fous leurs gardiens en entamant des chants rythmés pendant la nuit, obligeant leur goeliers à se déplacer pour découvrir les coupables qui dormaient toutes évidemment. Une forme de résistance par le chant. Il fallait qu'elles aient du cran les nanas de l'époque.

 

Cette ville nous fait penser à Locronan : Tout y est pimpant, il y a des tas des restaus et de boutiques pour touristes, lesquels déambulent tranquillement, l’appareil photos en main. Malgré des recherches approfondies, on n’a pas trouvé de Kouign-amann, hélas ; ça commence à sacrément nous manquer, ainsi que les galettes-saucisses. Et le cidre aussi.

Outre les classiques bagnoles, il y a plein de grosses motos (c’est d’un commun…)  et seulement quelques vélos dont deux vélos couchés (ça c’est la classe ! ):

 

 


Hobart n’est pas bien loin. Qui c’est celui là ? Non, ce n’est pas un cousin anglais d’Hubert, c’est la capitale de la Tasmanie, rien que ça. La dernière capitale que nous visiterons en Australie après Sydney en Nouvelle Galle du Sud, Brisbane dans le Queensland, Darwin dans le Territoire du Nord, Perth en Australie Occidentale, Adelaide en Australie Méridionale et Melbourne dans le Victoria (c’était une petite révision pour ceux qui n’ont pas bien suivi, au fond de la classe).

 

 

7 Comments

    • Eh oui, on essaye de rattraper le retard. Et y’a pas que les nouvelles qui sont de plus en plus fraiches, là où on est ça commence à cailler grave dès que le soleil se cache…

  1. Ah, enfin des champignons ! Vous avez bien fait de leur tourner le dos, ceux-là ne sont pas pour la casserole… En plus pas très originaux, quelque Gymnopilus. On a les mêmes à la maison !
    Mais avez-vous eu l’occasion de déguster des huîtres locales ?

    Allez, on a hâte de vous suivre vers de nouveaux horizons.
    Bonne route.
    Amicalement.

  2. Je suis émerveillée de voir tout ce que vous faites et avec quelleconstance vous nous le faites partager. La fin du voyage s’ annonce pour nous aussi, nous quittons demain Nicaragua et retournons au Costa Rica pour un séjour côté Caraïbes et ensuite retour vers la Bretagne
    Bises à vous deux evelyne

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