Du poste de police à la prison

Aussi curieux que cela puisse paraitre, à Taiwan la mission des policiers est de prendre soin des gens. C’est pourquoi quand on a besoin d’aide, il suffit d’entrer dans un poste de police où il y a toujours un distributeur d’eau chaude, tiède et froide auprès des canapés et de la table basse sur laquelle le thé parfume la pièce; il suffit de demander pour que ces gens là ce mettent en quatre pour nous trouver une solution. Notamment un endroit pour dormir gratos, des outils pour réparer les vélos, etc. Il y a même des postes de police qui ont des emplacements pour camper sur place. Désormais on ne va pas se priver de compter sur ces endroits provientiels dès qu’on arrive dans un patelin où on a l’intention de passer la nuit.

Imaginons une scène similaire en France, un cycliste chinois entrant dans un commissariat :
– « Bonjour honorable commissaire. Le misérable vermisseau que je suis peut-il espérer votre gracieuse aide ? »
– Le flic réfléchit intensément « Qu’est-ce que c’est, qu’est-ce qu’il a, qui c’est celui-là ? L’a une drôle de tête ce type là, l’a une drôle de voix » (c’est un fan de Pierre Vassiliu)
– Le chinois, lisant laborieusement son pense-bête : « Serait-ce abuser de votre bonté que de demander de l’eau chaude pour mon thé ? »
– Le flic : « Non mais, vous vous croyez dans un salon de thé ? »
– Le chinois, imperturbable (il n’a pas du comprendre la réponse précédente) : « Je cherche un endroit pour dormir gratuitement ou planter ma tente »
– Le flic, qui croit enfin comprendre : « Ah je vois, monsieur veut un logement, je vais lui proposer une cellule. Ça doit encore être un réfugié. VOS PAPIERS ! »

Quant à la prison, qu’est-ce qu’elle vient faire là dedans ? Patience, on va y aller, vous verrez ça plus bas.


Le chemin le plus plat ne conduit pas jusqu’au Nirvana (proverbe indien)

En quittant Keelong, deux choix possibles : Celui de la facilité, continuer à longer la côte, mais elle n’est pas franchement belle et ça risque de ne guère être intéressant. Ou alors pédaler un peu à flanc de montagne pour atteindre les villages perchés de Jiufen et Jingashi, puis continuer en traversant la montagne pour redescendre ensuite sur la côte nord-est, mais ça grimpe fort.

On choisit l’option deux, et en effet ça monte carrément beaucoup par endroits, il y a des lacets à la pelle mais on se doute bien qu’il y a quelque chose à la clé en voyant le nombre ahurissant de cars de tourisme nous doubler. Moyennant un peu de sueur et quelques passages où on doit pousser nos montures, on arrive au « Mont St Michel » local : Il y a tellement de monde dans les ruelles de Jiufen qu’on se marche dessus, c’est impressionnant, même la Mère Poulard n’en reviendrait pas. Du coup on décide de pousser jusqu’à Jingashi, quelques kilomètres plus loin, il parait que c’est moins touristique.

En effet, il y a moins la foule et le village minier semble intéressant à visiter. Il y a eu dans cette région toute l’effervescence qu’on peut s’attendre à trouver dès qu’une pépite d’or est découverte. Direction le poste de police, juste pour leur demander où on peut garer les vélos en sécurité, ce sera sur le parking du poste, parfait. Comme l’après-midi est bien avancée, on prend un bus pour redescendre à Jiufen et se balader là où ce n’est pas trop bondé en attendant que cette cohorte de touristes s’en aille enfin. Mais ça ne marche pas, ils restent !

On est bons pour le bain de foule, par endroits on se croirait dans le métro à l’heure de pointe. Mais c’est vrai que ce village est sympa avec ses rues minuscules, ses lampions partout et sa ribambelle de boutiques où on trouve de tout. Y compris de beaux articles d’artisanat, surtout dans les rues un peu éloignées de la foule.

Fin de soirée, on se reprend un bus pour rejoindre nos vélos et demander aux policiers où on peut dormir car on a lu qu’ils proposent une pièce juste en face du poste, avec des lavabos et de l’électricité en prime. Sauf que ça ne se passe pas comme prévu, le jeune flic ne sait que faire de nous, il nous propose un hôtel mais on n’en veut pas, ça palabre à tout va dans le poste de police, un chef finit par arriver et nous demande de quelle nationalité nous sommes ? Pourquoi on n’a pas les moyens de se payer l’hôtel ? On lui explique que l’on va à l’hôtel uniquement quand il pleut ! Finalement on se retrouve sur un emplacement bien au calme, où on pourra dormir à la belle étoile, juste en face de la montagne et après avoir descendu des escaliers interminables avec nos vélos et reçu la ferme consigne de ne rester qu’une nuit. Laquelle fut bonne, merci ; un bouddha géant sur l’autre versant veillait sur nous.

Retour au Japon le lendemain matin avec la visite d’une vieille maison japonaise, c’était la maison du gouverneur nippon. N’oublions pas que Taiwan a été occupée par les japonais pendant 50 ans. Magnifique maison rebâtie à l’identique avec les matériaux et savoir faire ancestraux. On peut y mesurer la surface des pièces au nombre de tatamis (91cm x 182cm). Au Japon, même les portes, fenêtres et volets sont dimensionnés suivant la largeur d’un tatami. On se retrouve ensuite vers le musée de l’or mais on n’en fera pas la visite (puisqu’il n’y a plus rien à gratter !) on se contentera de suivre les vieux rails qui montent doucement vers les usines de traitements du minerai.

Il faut boire le calice jusqu’à l’hallali (proverbe du Boukistan)

Impressionnante ville de JINGUASHIBENSHAN

C’est bien beau d’être à flanc de montagne, mais il faut assumer : soit on redescend, soit on continue à monter, ce qu’on va faire à grand peine mais ça la valait largement, la peine : C’en est fini des cars de touristes, ils ne vont pas si loin, et les paysages sont magnifiques, chaque virage est l’occasion de prendre des photos (et souffler un peu) qui seront surclassées par les photos du virage suivant, encore plus haut, et ainsi de suite au fil des lacets. Bon sang, c’est promis, la prochaine fois qu’on rentrera en Bretagne pas question de prendre un gramme de lard !!! La récompense nous attend avec une vue à couper le souffle (qu’on récupère comme on peu) sur la baie de Keelung et Honeymoon bay au loin.

A noter que la pluie est désormais aux abonnés absents, ce dont on ne se plaindra certes pas. Arrivés au col, de petites échoppes nous tendent vainement les bras, mais on apprécie lentement le panorama avant d’entamer la longue et méritée descente vers la côte. Un cycliste sympa propose un échange de vélos, le sien pèse 7,5 kg, punaise ça fait une sacrée différence avec nos monstres de 50 kg (chargement compris, quand même).

Qui choisit la facilité mérite le coup de bambou (proverbe chinois)

Tiens un camping, « Longmen » il a l’air grand et bien équipé, et puis c’est la facilité, ça évitera d’aller chercher un coin de bivouac plus loin car on en a plein les pattes. En fait d’être grand il est immense, par le contre le prix est assorti : $ 840, plus cher que notre appartement de Keelung ! Tout ça alors qu’il n’y a ni wi-fi, ni camp kitchen, ni recreation room, ni même de papier dans les toilettes ou de savon aux lavabos, même pas de prises électriques près des emplacements. D’accord, on a pris des gouts de luxe avec les campings australiens et néo-zélandais, mais là quand même c’est trop basique pour justifier un tel prix. Ici on monte la tente sur une plate-forme en bois mais elles sont trop petites pour notre long tunnel qui voit les absides pendouillant le long des planches.

Une recommandation, amis campeurs : Allez au camping de Sainte Mère l'Eglise, qui vient d'être repris par Fred et Ophélie (Les Pieds Devant, ou les Panardos pour les intimes), grands voyageurs comme ils sont, ils savent ce qu'apprécie un cycliste fatigué à l'étape : Jacuzzi, sauna, massages, bons petits plats et surtout pas de piscine ni d'animations ni de gamins braillards.

Un tunnel pour les 2 roues

On quitte Fulong par un petit chemin de campagne en suivant un itinéraire emprunté par les adeptes du deux roues. On a remarqué aux alentours de la gare pas mal de loueurs de vélos. Une grande boucle permet de découvrir cette petite péninsule. Au village de Wailonglinjie nous allons entrer dans un tunnel « caolin », une ancienne ligne de chemin de fer qui transportait du Kaolin (argile blanche) et ressortir 2km167 plus loin face à la mer au village de Da’ao. C’est assez fun, pour une fois qu’il n’y avait pas de voitures !

A l’arrivée à Da’ao évidemment nous sommes le point de mire des autres cyclistes. Une jeune femme et ses parents nous offrent oranges et gâteaux, on prend des tas de photos avec un tas de gens…. c’est incroyable la pub que l’on fait pour le magasin de José, on espère qu’il en verra les retombées dans les semaines qui suivent !

La route ensuite traverse de nombreuses rizières, c’est agréable et c’est plat. L’eau coule à flots dans les canaux, les robinets ont étés ouverts en amont ; pas de manque d’eau par ici.

Derrière les barreaux, pas besoin de sombrero (proverbe mexicain)

Nous y arrivons enfin à cette prison dont on nous parle depuis un certain temps, et dont on vous parle aussi. On se prépare psychologiquement à y faire un séjour, bien qu’on n’ait (presque) rien fait de répréhensible, à part chiper un peu de papier toilette dans un restau mais à priori ça ne mérite pas l’incarcération.
Dès l’arrivée c’est bizarre, personne dans le poste de garde à l’entrée, la barrière est levée, serait-ce une opération portes-ouvertes ? A priori non, tous les pensionnaires se seraient enfuis, or on entend du bruit derrière les hauts murs ceints de barbelés. Soudain une voix nous interpelle, ça tombe bien car on ne sait trop que faire. C’est Joyee qui nous appelle depuis sa maison située dans le quartier du personnel, nous y retrouvons également Ewam surnommé « One way », inévitablement suivi de « No return ».

Ce surnom lui va très bien, à ce gardien bien peu conventionnel. Déjà question look, ça décoiffe, on imaginerait plutôt les gardiens habillés et coiffés comme des croque-morts, là pas du tout. Mais le plus intéressant est qu’Ewam est un ardent défenseur des droits de l’homme en général et des détenus en particulier. Et il y a de quoi faire à Taiwan, la politique carcérale étant pour le moins rudimentaire, le mot « réinsertion » semble relever du fantasme. La majorité des gens enfermés là le sont pour consommation de drogue, et ce n’est sans doute pas en étant traités comme ils le sont qu’ils vont se sentir mieux lorsque leur peine sera purgée, la récidive est donc l’issue la plus probable.

Ewam aime dessiner, il a également  écrit un livre, ce qui a eu un certain retentissement mais n’a pas vraiment plu à sa hiérarchie, laquelle s’est appliquée à lui faire payer cette audace inouïe sous forme de brimades inventives ; par exemple passer un an dans une tour de guet, endroit où on ne met plus de gardien depuis belle lurette grâce à la vidéo-surveillance, et pour corser la chose il n’y a pas chaise pour s’asseoir et il y a une caméra qui surveille le lieu, y compris les WC. Depuis ça s’est un peu arrangé, mais notre gardien subversif n’a toujours pas le droit d’avoir des contacts avec les détenus, il est cantonné au sas d’accès des véhicules. Ils ne sont vraiment pas « sans sas » dans cette prison.

Une première soirée « barbecue-party » avec des amis de nos hôtes warmshowers où on va grignoter des tas de petites choses arrosées de vin rouge et on va passer une sacrée joyeuse soirée. A noter que ce jeune couple s’est rencontré sur le chemin de Compostelle. Ils voyagent maintenant sur des Brompton quand ils ont suffisamment de congés.

Nous ferons également connaissance avec Lee Shian Lin « James » un de leurs potes qui tient  un magasin de vélos à Luodong et va tout faire pour nous rendre service. Notamment pour remplacer un pneu Marathon Plus qui a lâchement décidé de se barrer en sucette au niveau de la jante alors qu’il n’avait roulé que 7 000 km, une broutille.

Dès le lendemain matin nous verrons sur facebook les photos de cette soirée postées par James; en voilà un qui ne perd pas de temps.


En bonus : Le prénom

Au début nous étions surpris que les gens que nous rencontrons portent tous des prénoms fort peu asiatiques : Jose, George, Manfred, James, etc. Certes on n’a pas trouvé d’Adolf, mais quand même c’est bizarre cette histoire de prénoms.
En fait c’est tout simple, comme nous autres occidentaux sommes bien incapables de prononcer leurs patronymes, ils adoptent dès l’enfance un prénom qui nous sera familier. Ce peut être l’enfant qui le choisit, ses parents ou son professeur d’anglais, et il peut en changer plus tard.
Il faut savoir aussi qu’il n’y a que quelques centaines de noms de famille, donc énormément d’homonymes, par contre les prénoms taïwanais se déclinent à l’infini et ont souvent une signification très poétique comme « petite fleur » « goutte d’eau »
(fin de la minute culturelle)

 

7 Comments

  1. Bonjour Bonsoir
    Remarquable le poste de police.;.je crois qu’il existe dans certaines communes en France,je ne sais pas si c’est obligatoire ou non,une possibilté pour une nuit pour les gens de passage…j’ai vu cela à JONZAC (Charente-maritime)…à vérifier
    Bon Vent

  2. Jolie découverte et beaux paysages. Grace à vous,Taiwan se révèle sous de bons auspices.
    Quant au Petit Cochonnet, j’en connais un qui n’a pas dû lui faire grand honneur…

    Bises et bon voyage à vous.

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