Galère à Simocheville

Un article où vous allez voir que la vie de cyclo-voyageurs n’est pas toujours facile, contrairement à ce qu’on essaie de vous faire accroire d’habitude. On n’irait pas jusqu’à se plaindre, au risque de révolter nos fidèles lecteurs, n’empêche qu’il y a des jours où on aurait préféré rester au lit, ou avoir fait d’autres choix.

Takeo

C’est le cas notamment pour notre parcours depuis Phnom Penh jusqu’au Golfe de Thaïlande, la distance est de 180 km, on va faire ça en trois fois mais de façon très déséquilibrée (ce qui est embêtant pour des cyclistes). Première étape à Takeo au bout d’une longue route sans aucun intérêt mais pleine de travaux, 70 km pour arriver dans cette bourgade qui a pour mérites d’exister et d’être située en bordure d’un lac.

Le marché du soir est pittoresque à souhait, très orienté sur les poissons et autres produits aquacoles provenant du lac ; loin des vitrines réfrigérées obligatoires sur nos petits marchés municipaux. Le lieu est connu pour ses grosses écrevisses qui sont en voie d’obtenir un statut d’Indication Géographique Protégée ; en attendant elles vont finir dans nos estomacs, ce qui est aussi une forme de reconnaissance.

Kampong Trach

Là encore, une étape de 70 km, nous avons beau partir à l’aube, la température monte vite à 33° (à l’ombre, donc où nous ne sommes pas, au soleil c’est plutôt 36°). Des routes pas franchement passionnantes, de nombreux chantiers dont on a du mal à comprendre la finalité (on en reparlera), on a connu mieux. On s’arrête dans cette petite ville vilaine comme tout, non pour son attrait mais parce qu’on n’a pas la force d’aller plus loin ; il n’y a là que la route bruyante et poussiéreuse, quelques vagues commerces et (heureusement) une guest House qui ne laissera pas les meilleurs souvenirs mais suffit bien pour une nuit de passage.

A ceux et celles qui se demanderaient (à juste titre) pourquoi on ne fait pas des étapes plus courtes, dites vous qu’on aimerait bien mais il n’y a pas grand patelins dans cette province alors on s’arrête quand on peut enfin trouver un hébergement.

Seul attrait de Kampong Trach, une grotte sous un ancien Wat dont le plafond s’est effondré, ce qui donne un gouffre intéressant à découvrir. Nous sommes dimanche et les Khmers viennent y faire leurs dévotions les bras chargés de fleurs pour les offrandes aux dieux mystérieux protecteurs des lieux. Une rencontre face au lieu de pesage de la récupération ; une jeune femme avec un chargement impressionnant sur la charrette de sa mobylette vient y déposer et faire peser son chargement de bouteilles plastique, canettes et autres objets ; l’occasion de lui offrir quelques produits d’hygiène qu’Irène trimballe dans ses sacoches depuis notre départ. Puis nous reprenons la route pour notre troisième et dernière étape avant la mer. Elle ne fera qu’une trentaine de kilomètres, c’est pour ça que notre truc est déséquilibré mais on fait comme on peut.

Le long de la route, un type en scooter s’arrête et nous offre deux noix de coco ouvertes, fraiches et prêtes à boire. Voici Seng, il nous a repérés, est parti les acheter pour nous les donner, ça c’est sympa. Il est heureux de rencontrer des cyclistes courageux qui parcourent son pays sous cette chaleur (il n’a pas tort !) On a de la chance d’être un week-end, sinon ce prof de maths aurait été avec ses élèves à cette heure là. Merci à toi Seng tu nous a désaltérés de ta gentillesse !

Kep sur Mer

Le nom de la commune donne le ton, sous le protectorat français c’était une station balnéaire avec de belles demeures coloniales. Les khmers rouges, dans leur folie destructrice, se sont empressés de démolir tout ça, il ne reste que quelques maisons de l’époque et de nombreuses ruines. Le charme de Kep est ailleurs, pour l’instant…

Avec un sens de la modestie que chacun appréciera, la ville se vante de figurer parmi les plus belles baies du monde, rien que ça. Depuis que le gouverneur de la province a interdit les casinos et la prostitution, les investisseurs chinois ont laissé tomber leurs projets immobiliers et c’est tant mieux. Mais c’est sans compter avec la volonté du gouvernement de transformer la côte pour construire des hôtels de luxe et attirer les touristes. Problème : Il n’y a qu’une plage minuscule. Solution : En créer une jusqu’à Kumpot, soit une distance de 25 km. Alors les beaux arbres sur le front de mer sont abattus, le jour même où nous arrivons. Un immense polder est établi pour gagner de la surface sur la mer et, comme il faut des matériaux pour ça, des pans entiers de montagne sont dynamités.

Prenons un peu de hauteur. Un temple est perché dans la forêt, nous y grimpons pour découvrir qu’il est moins beau de près que de loin, excepté l’intérieur qui est sympa (on dira que c’est une beauté intérieure).

C’est surtout l’environnement du temple qui est particulier, il a l’air d’être peu entretenu, la végétation ne demande qu’à reprendre ses droits, serait-il en voie d’Angkorisation ? Les statues d’animaux en béton côtoient les grands papillons (qui ne sont pas en béton, ils volent pour de vrai), l’ambiance est reposante et étrange.

Au service des bonzes, il y a du personnel. En l’occurrence, nous rencontrons une « bonzesse » occupée à balayer la cour des feuilles qui s’obstinent à tomber dès qu’elle a le dos tourné (elle n’est pas près d’être au chômage); elle a très envie d’essayer nos vélos et, comme vous le voyez à son visage, en est ravie. On prend des photos avec son smartphone, elle pourra épater les bonzes le soir quand ils rentreront.

Les lapins

Ne pensez pas aux animaux à longues oreilles, il n’y a pas de ça dans ce pays, il s’agit de l’île aux lapins (fort curieusement nommée en référence à sa forme, qui ne ressemble en rien à un lapin, sauf à l’imaginer en civet).
Nous allons y passer une journée pour… ne rien faire car on estime avoir besoin de repos. Et puis nous le méritons bien.

Le bateau, équipé de deux moteurs de voiture vrombissants et fumants, nous emmène là bas en peu de temps, le pilote reviendra nous chercher pour 16h00. Nous n’avons pas su s’il était occupé sur l’ile ou s’il a attendu butant lui aussi dans un hamac. C’est l’avantage d’avoir un bateau privé, d’autant que, curieusement, c’est moins cher que la traversée sur les bateaux réguliers.

Ce qui frappe dès qu’on s’approche de l’île est qu’une de ses pointes est complètement dévastée, la dynamite et les gros engins de chantier sont en train de l’aplanir pour construire un vaste complexe hôtelier (de luxe, évidemment). Pendant notre présence nous aurons le privilège d’entendre une grosse explosion suivie d’un nuage énorme de poussière et les engins de chantier passer sur la plage…poussez vous les touristes !!!

Pour le reste c’est archi tranquille, il n’y a quasiment personne, on n’a qu’à passer de la plage au hamac et vice-versa.

Piste, poussière et poivre

Le poivre de Kampot serait le meilleur du monde, parait-il, toujours est-il qu’on en a un peu à la maison et on l’apprécie énormément mais on l’utilise avec parcimonie. Puisqu’on est dans la région de production, allons voir ça de plus près.

Ça se mérite, cette histoire là : En guise de route une piste en latérite parcourue par des camions qui nous empoussièrent bien, malgré le passage épisodique d’autres camions pour arroser la piste.

La visite de la plantation est intéressante, c’est une petite exploitation familiale « Sothy’s Farm »qui nous a été recommandée par Eric notre logeur du « Melting Potes ». Nous avons droit à une dégustation en bonne et due forme. Croquer les différents grains de poivre est une expérience particulière, ça arrache un peu mais les différences entre poivre vert, blanc et rouge sont bien marquées. Ces dames égrainent les grappes de poivres à la main. 10 kilos par jour pour 7 heures de travail…on comprendra que le prix soit aussi élevé. (30 dollars le kilo).

Le site de la plantation est sympa, c’est presque un jardin botanique. Nous faisons connaissance avec le gros fruit qui pue , le Durian….mais heureusement ces fruits appréciés par les Chinois , bien sur, mais aussi par les ThaÏs, ne seront à maturité qu’en juin/juillet. Ils sont parait-il très onéreux….on passe notre tour, de toute façon ils ne sont pas mûrs, les fleurs de frangipanes nous conviennent mieux.

Du rab de Kampot

Nous n’avions pas prévu de passer grand temps à Kampot, mais les événements vont en décider autrement. L’idée initiale était de rejoindre ensuite Sihanoukville en train parce que la route entre les deux est « la pire du Cambodge », donc dès qu’on arrive on se précipite à la gare. Mauvaise pioche, nous sommes mardi et le train ne prend les vélos que du vendredi au dimanche (bizarre…), il faudra venir acheter les tickets la veille du départ (pourquoi pas maintenant ?).

L’office du tourisme ne nous sera pas d’une grande aide non plus puisque les employés dorment ostensiblement, se fichant pas mal des visiteurs en quête d’infos. À la poste ce n’est pas triste non plus, l’unique employée assoupie derrière son comptoir aux vitres tellement sales qu’on a du mal à voir à travers est affolée par notre demande incongrue : Envoyer une clé de chambre d’hôtel que nous avions emportée par erreur ; ne voulant pas créer un mouvement de panique parmi le personnel, on laissera tomber.

A part une artère bien chargée qui passe par l’unique pont accessible aux voitures et camions, le reste de la ville est tranquille. Le quartier historique a gardé ses maisons coloniales, plus ou moins bien entretenues. Un grand rond point pour se repérer avec un énorme durian au milieu, on ne peut pas le rater.

Nulle part on ne trouve de tags ou dégradations volontaires, si un édifice est endommagé c’est qu’il est vieux, tout simplement.

Vu qu’on est là plus longtemps que prévu, allons voir un site le long de la rivière où il parait que c’est beau et qu’on peut même se baigner. Comme d’habitude la route est en travaux, par endroits c’est carrément tout défoncé, on commence à avoir l’habitude mais on s’en passerait bien.

Le site visé n’est pas superbe, on a du mal à trouver un endroit à peu près accueillant pour s’y poser un peu. Avec plus d’eau dans la rivière ce serait mieux, là on renonce à se baigner parmi les rochers.

Le long de cette route peu fréquentée, on voit de bien vilaines choses : Un ruisseau qui d’un coté du pont est joli mais ressemble à une décharge de l’autre coté, des projets immobiliers délirants manifestement abandonnés, etc.

Irène s’enhardit jusqu’à poursuivre le chemin lorsque la route n’est plus goudronnée, elle arrive sur un site assez étrange après 3 kms de montée caillouteuse ou en latérite bordant la rivière qui descend de la jungle. Elle a persisté à monter jusqu’aux cascades de Tada Roung en payant 1 dollar d’entrée 1 km avant l’arrivée pour constater une fois sur place que lesdites falls sont à sec. Personne sur ce site si prisé des habitants d’après les photos que nous avons pu voir le long de la route sur les panneaux. Seulement quelques marchands du temple parce qu’il y a des statues de bouddha et autres divinités côtoyant des animaux en couleurs beaucoup plus kitch. De nombreuses installations d’abris où sont tendus des centaines de hamacs attendant les clients, un gamin ou deux intrigués par cette dame avec son étrange vélo !

Le pire va être la découverte du « zoo » de pauvres animaux sont enfermés dans des cages indignes : un couple de lions, des rapaces tous tristes, des autruches déplumées, des singes qui seraient bien mieux dans leur habitat naturel… Généreuse, Irène propose à un jeune couple qui vient d’arriver d’ouvrir les portes et de rendre la liberté à toutes ces pauvres bêtes….

Patatras !

Le jeudi on se pointe de nouveau à la gare, pour acheter les tickets, et là c’est la douche froide : Finalement le train ne prendra pas les vélos dans les prochains jours. Damned ! Nous voilà coincés à Kampot ? Que nenni non point, on a un plan B : Aller à Sihanoukville en car, mais comme il n’y a que des minibus on va faire acheminer les vélos par un transporteur. En théorie c’est un bon plan, en pratique on va se rendre compte que non…

Le plan foireux

On ne nous avait pas menti, la route en direction de Siahnoukville est un vrai cauchemar. Le revêtement s’est fait la malle depuis belle lurette parce que la route est en contrebas du massif des Cardamones et en saison des pluies ça coule à flots par dessus ; il aurait évidemment fallu prévoir un système de drainage, mais ça devait couter trop cher, ou alors il a été prévu mais l’argent est parti dans les pots de vin plutôt que dans les tuyaux. Il est bien connu que les travaux publics sont une manne inépuisable pour la corruption.

Arrivés dans l’horrible Sihanoukville, nous attendons nos vélos jusqu’à apprendre, des heures plus tard, que le camion qui devait les trimballer est tombé en panne. Ben tiens… Le lendemain, même motif même punition, le second camion serait aussi tombé en panne ! La situation devient critique, nous n’avons plus que quelques jours avant l’expiration de nos visas, on ne peut plus attendre. De plus, dans la précipitation du départ on ne nous même pas donné de reçu pour nos vélos, on ne sait pas où ils sont et n’avons aucune preuve de quoi que ce soit.

Le troisième jour on se pointe chez le transporteur à l’aube, chargé de toutes nos sacoches (ça en fait 16 au total !) et décidés à râler, manifester, faire la grève de la faim ou dynamiter le truc (ou tout ça en même temps). Contrairement aux promesses, les vélos ne sont toujours pas là mais Michel avise un camion qui n’a pas encore été ouvert : Alléluia ils sont dedans, sonnez hautbois, résonnez musettes !

Simocheville

Que retiendrons nous de ces trois jours passés à l’insu de notre plein gré à Sihanoukville ? Que la ville est encore pire que les descriptions horrifiées qu’on en avait lues. Partout des immeubles commencés mais pas terminés, des structures de béton hideuses qui ont poussé comme des champignons qui auraient pourri avant la maturité, un cauchemar d’urbanisme débridé qui a tourné court lorsque les autorités locales ont décidé de refuser la création de nouveaux casinos en ligne, ce qui a fait fuit les investisseurs chinois.
C’est si moche que nous n’avons même pas eu le coeur à prendre des photos, le seul endroit agréable étant notre resort « le Sok Sabay » chez Guillaume, un français. C’était une oasis dans un océan de mocheté. L’épouse de Guillaume, cambodgienne, va bien nous sauver la mise en passant pour nous les coups de fils nécessaires pour nous dépatouiller de cette situation. On se promet de ne plus nous séparer de nos fidèles montures.

Heureusement, on va pouvoir s’échapper de cette satanée ville. Mais ça ne va pas être tout facile non plus, on vous racontera ça dans notre prochain et dernier épisode cambodgien.

10 Comments

  1. Quel courage ! Chapeau bas lol je vous suis depuis le début, votre récit est passionnant, un grand merci à vous de prendre le temps de nous emmener en voyage avec vous.

  2. Bonjour,
    Notre expérience de Sihanoukville, bien que moins dramatique que la vôtre, ne nous a pas laissé un bon souvenir. C’était il y a 5 ans, la ville était déjà moche, pleine de casinos attirants des milliers de touristes chinois. Nous réparti rapidement. En tout cas, bravo, ce que vous faites est vraiment remarquable. On adore vous suivre, c’est toujours passionnant. Bon courage pour la suite. Pascal.

  3. Ah oui, quel courage de circuler en vélo sur des routes défoncées et par cette chaleur ! Ce que vous décrivez comme urbanisation galopante en dévastant les sites naturels est bien triste… On espère pour vous que la suite du voyage après toutes ces galères sera plus agréable.

  4. Bonjour les Amis,
    En ce moment je ne vous envie pas et cela ne me donne pas l’envie d’aller dans ce pays : la misère, le manque d’hygiène, ne parlons pas de l’entretien des routes, Bref rien ne m’attire dans ce pays : on est bien en France !!!
    Merci quand même pour ces découvertes. Bon courage en l’attente de vous lire, amicales pensées.

  5. hier randonnées avec deux joailettes , nous étions une quinzaines , tous contant de retrouver , je vous félicite avec tout ses déboires , bon vélos serge martine .

  6. Bonjour les aventuriers .
    Les routes de l’impossible ..vous savez les transformer en possible..
    Triste le futur urbanisme ..toujours la course au « Fric »
    Positif l’accueil et les sourires « gratuit »
    kenavo

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  1. Leahaey Kampouchea (Au revoir Cambodge) – Les Cyclomigrateurs

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