Plus que quatre jours avant l’expiration du visa, 240 kilomètres jusqu’à la frontière, normalement ça doit le faire sans problème. Sauf que, évidemment, ce ne sera pas si simple…
(Tout d'abord une parenthèse pour rassurer nos lecteurs qui nous ont cru en difficulté lors de l'épisode Galère à Simocheville : C'était un titre volontairement accrocheur, et ça a marché puisque cet article a été plus lu que les précédents, mais surtout c'était plus amusant qu'autre chose puisque, comme d'habitude, tout s'est bien terminé.)
On avait deux infos sur la route en Sihanoukville et la frontière : « On est secoués comme des pommiers à cidre » et « Il y a des nids de poule mais à vélo vous en faites le tour et ça doit passer ». Voyons voir ce qu’il en est.
Dès le départ on n’en croit pas nos pneus yeux, il y a une magnifique route à quatre voies toute neuve, sans aucun camion et très peu de voitures. Il y a bien un panneau qui indique que c’est interdit aux tuktuks, scooters et vélos, mais comme jusqu’ici on a constaté que les panneaux servaient surtout à faire joli dans le décor, on s’engage tout de même…. Pour se faire refouler au bout de quelques kilomètres parce qu’il y a un péage et que toutes nos tentatives de corruption négociation échouent lamentablement.
Demi-tour, on retourne sur la vilaine route pleine de camions et de voitures (sans compter quelques vaches) et qui, de surcroit, est plus longue. On ne peut pas gagner à tous les coups…
Travaux à gogo
Lorsque, après une nuit de repos, on quitte la grosse route vers Phnom Penh pour s’engager sur la 48 qui mène vers la Thaïlande, les choses se corsent. Ce n’est qu’une succession de chantiers visant à transformer cette modeste route au trafic clairsemé en future route à 2×2 voies. Au Cambodge l’organisation des travaux a de quoi laisser perplexe, voire pantois, on n’arrive pas à comprendre pourquoi il est indispensable d’attaquer tout de go deux cent kilomètres de route au lieu de faire ça tronçon par tronçon.
Sans être dans le secret des dieux, avec notre compréhension limitée, nous pensons que les cambodgiens ont autant besoin de cette autoroute que d’une épidémie de fièvre jaune ; si au moins les routes existantes étaient entretenues et celles encore en latérite étaient goudronnées, ce serait bien plus utile (Mais moins prestigieux, le pouvoir ayant l’air d’aimer les réalisations grandioses dont il peut s’enorgueillir sur les affiches).
Le seul avantage de ces chantiers multiples est que ça met de l’animation sur notre parcours, surtout les camions arroseurs avec lesquels nous entretenons une certaine complicité (une douche rafraichissante, c’est toujours bienvenu par cette chaleur).
Notre verdict sur cette route : Il n’y a que peu de sections où le revêtement a été détruit par les travaux, tout au plus 10%. Pour le reste, les nids de poules ont été comblés par du béton, donc on n’est pas trop secoués comme des pommiers et n’avons pas non plus besoin de trop slalomer entre les trous, que demande le peuple ?
Les camionneurs
On avait lu et entendu pis que pendre des chauffeurs routiers cambodgiens, notre expérience nous a montré que ce n’est pas « aussi pire » que ça, loin de là. Lorsque la route est large, qu’ils sont sur leur voie dégagée, ils déboulent à toute allure en klaxonnant (surtout dans les villages) ; mieux vaut ne pas essayer de traverser la route avec un déambulateur, au risque de ne plus jamais en avoir besoin.
Par contre, lorsque la route n’est pas particulièrement large, ils savent très bien rester derrière patiemment en attendant que ces fichus vélos aient fini de monter la côte, et ils doublent bien au large quand c’est enfin possible (en mettant le clignotant, en plus). En un mois et un bon millier de kilomètres sur les routes cambodgiennes, nous n’avons jamais eu de problème avec les camions. Avec les vans et les gros 4×4, par contre…
Ruralité++
Loin de la monotonie des grands espaces plats traversés précédemment, ici le relief est plus marqué et les paysages variés, ceci étant dû au fait que nous somme sur les derniers replis de la chaine des Cardamones. On rencontre du monde, des gens souvent très modestes qui apprécient les carnets, crayons et gommes que nous avons grand plaisir à offrir à leurs enfants, lesquels ne sont souvent pas scolarisés.
On ne choisit pas la longueur de nos étapes car il n’y a en fait qu’aux traversées de rivières qu’il y a des villages, donc des hébergements ; ceci notamment parce qu’avant la construction des ponts il fallait traverser par des bacs (les rivières sont d’une largeur impressionnante), donc les villages étaient des lieux d’arrêt obligatoire.
Le long de la route, beaucoup de maisons traditionnelles ou récentes, en plus ou moins bon état, parfois coquettes. Mais aussi les campements de fortune des ouvriers des chantiers, loin de tout, loin de tous.
Des bestioles aussi, plus ou moins grosses, mais hélas pas de tigres puisque le dernier a été exterminé il y a plus de 15 ans. Par contre, les chiens prolifèrent toujours autant, il doit y en avoir plus que d’habitants.
On ne risque jamais de mourir de faim, on trouve aisément des gargotes et des marchands de fruits que l’on ne saurait qualifier d’exotiques puisqu’ils poussent ici.
Dernière étape
Pfuuuu, elle est raide celle là, ça n’en finit pas de grimper. Mais un type super sympa accepte de prendre le vélo d’Irène (et Irène elle-même) dans son pickup, ainsi que les sacoches des trois qui vont continuer à pédaler plus légers jusqu’à Ta Tai, village minuscule mais joli contrairement à ses prédécesseurs.
On y dégotte deux chouettes bungalows, en plus la dame cuisine bien, un coin très agréable pour une ultime nuit cambodgienne.
La rivière est très belle, ce à quoi sont habitués les enfants qui rentrent de l’école sur leur petit bateau comme ceux de chez nous le font à vélos.
Le lendemain on part dès le lever du soleil pour éviter les grosses chaleurs, le ciel nous récompense par de magnifiques couleurs, comme un hommage du pays à ceux qui le quittent après l’avoir tant apprécié.
Cette partie du voyage n’aura pas été la plus facile mais elle valait bien la peine qu’on transpire un peu et qu’on bouffe de la poussière, ce furent des moments intenses et beaux, de ceux dont on se souviendra le plus. La route compte souvent bien plus que la destination, avec son lot de surprises et de découvertes.
Dernières scènes de rues, souvent cocasses, toujours étonnantes, les Cambodgiens nous surprennent toujours.
Juste avant de franchir la rivière pour rejoindre la Thaïlande, et alors que nous avons changé nos derniers billets en Riels pour des billets et pièces en Bahts (on en a beaucoup moins pour la même somme), voilatipas qu’il y a une dame au pied du pont qui vend des bananes frites (pas des bananes avec des frites (quelle horreur !) mais des beignets de bananes) ; on s’est régalé de ces trucs là et voilà qu’on n’a pas de sous pour acheter les dernières… Sauf qu’Irène avait gardé 2 billets de 500 Riels, lesquels vont lui permettre un grand moment de joie (pour 0,25 €, la joie n’est pas chère ici). La vendeuse doit encore se demander pourquoi elle a suscité un tel enthousiasme et tant d’émotion, larmes de joie et de déchirement de devoir quitter ce pays et ses attachants habitants.
Juste avant la frontière un énorme palace nous nargue, le grand luxe avec des voitures assorties garées devant, on y aurait bien réservé la nuit mais nos visas ne sont plus valables que quelques heures, c’est ballot.
Quelques kilomètres avant la frontière nous avons longé une zone de collines et sommes arrivés devant une monstruosité de construction. On aurait dit que les martiens avaient débarqués pendant la nuit ; une sorte de soucoupe qui visiblement va accueillir un monument phallique entouré d’une myriade de commerces, de resorts, de bars, restaurants, salons de massages, spas et tout ce qui va avec. Comment le sait-t’on ? Devant cette zone se dresse un immense panneau décrivant le luxe et l’immensité du projet… Encore un coup des chinois ? L’histoire ne le dit pas !
Ce chantier a bien évidemment besoin de main d’oeuvre, c’est évident. C’est donc pour cette raison que se sont installés les travailleurs du bâtiment locaux (ou pas, d’ailleurs). Logés sous des bâches en plastique soutenues par des piliers en bambou. Ce campement a des allures de bidonville. Les familles sont présentes ; il faut comprendre femmes et enfants. Nous n’osons pas imaginer les conditions d’hygiène et de vie pour ces populations laborieuses.
Une jeune femme que l’on a salué nous rend avec un grand sourire notre « suosdei » . Elle est accompagnée d’un petit garçon tout nu, c’est l’occasion pour nous de nous défaire des quelques produits d’hygiène, de crayons papier et de couleurs, gommes et carnets. Les yeux pétillants ils s’en retournent à leur quotidien.
C’est cette image à la fois empreinte d’empathie et de confusion quant à tout ce qu’impliquent nos conditions différentes. Nous avons une chance inouïe de parcourir les routes chevauchant nos chers vélos (on pèse nos mots) et constatons que ce peuple khmer n’a pas accès, du moins pour certains d’entre eux, à l’essentiel : logement décent, accès à l’eau et à l’électricité, accès aux soins, à l’éducation, à la culture. Coeurs serrés, bras ballants, nous ne pouvons hélas que constater et témoigner de ce qu’il reste à faire dans ce magnifique pays.
Malgré tout la photo de cette famille se veut positive ; c’est dans ce sens qu’il vous faut la regarder. Sans être larmoyante nous voulons y voir un cheminement vers un avenir serein et confiant.
une experience pour un français de voir ce pays avec ses habitants, super super.
Encore bravo pour ce récit, et tous les précédents. C’est toujours intéressant, vivant et plein d’empathie. C’est un régal de vous lire. Pascal.
Toujours passionnant à lire !!! Les photos sont magnifiques ! Oui le Cambodge est un pays attachant dont les besoins sont énormes, savourons notre chance…
Une douche rafraichissante ? mon œil, t’a pas vu d’où venait l’eau…
Quant à ces personnes qui n’ont pas accès à notre essentiel, ils sont peut-être nos sauveurs car en cas de gravissime catastrophe humaine (qui ne nous pend pas au nez, heureusement) ils seront les seuls à pouvoir perpétuer Homo sapiens. Ils sont l’avenir de l’espèce…
Allez, bonne continuation du voyage et merci pour ces beaux témoignages.
Bises
Bonjour à Tout le monde
ça me rappelle une connaissance du monde que j’avais vu dans les années 1970..j’avais été charmé par ce pays et ses contrastes ..je ne me rappelle plus de l’auteur mais je me souviens qu’il avait dû rencontrer : »Norodom Sihanouk
Ancien Premier ministre du Cambodge »…
Merci de nous faire voyager ..
Kenavo
Bernard
Merci pour ces découvertes : mais ce n’est pas un pays ou j’aimerai vivre …
Enfin c’est le dépaysement « On est bien en France » (quoiqu’on en dise).
J’attends, quand même avec impatience vos prochaines découvertes
Bonjour à vous tous,
Magnifique reportage professeur Joel, je ne rate aucun de tes articles.
Bon retour en Thaïlande.
Bernard
merci pour ses belles photos et vos bon commentaires , au retour beaucoup de choses à nous raconter avec les joailettes ..serge
Très bon texte, à un petit détail près. Il y a bien longtemps que les gamins e vont plus à l’école à vélo en France. Bien trop dangereux et fatigant pour ces chers petits !