
De Tokyo au mont Fuji, nous étions en terrain connu (et apprécié). Avec la traversée des Alpes japonaises nous abordons de nouvelles contrées, à priori intéressantes, mais est-ce vraiment une bonne idée ?
Vous allez voir que la réponse est contrastée : Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, le relief n’est pas un problème, par contre la saison n’est pas celle que nous avions prévue.
Laissant derrière nous le Fuji-San, nous nous engageons dans une vallée qui va nous conduire au coeur du massif des Alpes Nord Japonaises.
Hokuto
Les températures du jour ne sont pas printanières, de 8° on va passer à 6° avec seulement 500 mètres de dénivelé. Les cerisiers sont encore en fleurs par ici, finalement on est contents on suit la floraison. La route 20 n’est pas très fréquentée et c’est tant mieux on s’offre des petites échappées au milieu des rizières qui commencent à être mises en eau pour les labours prochains. Le lit de la rivière lui, est bien large, les flots doivent être importants quand la fonte des neiges arrive, ce qui n’est pas encore le cas en ce moment.
The Yes Bagel !
Quand on quitte la route 20 c’est aussi pour traverser les villages tout comme celui de Hakushu avec ses maisons traditionnelles de tuiles noires. La région est réputée pour sa production de saké et de whiskies grâce à ses eaux pures et la qualité de son riz. Le but avoué pour nous n’est pas de siroter ces breuvages mais de trouver de quoi casser la croute, et bingo ! Tout à la sortie du village se trouve le petit établissement « The Yes Bagel », dans une petite maison en bois. L’ambiance y est super sympa avec un décor remarquable dans une ambiance de « comme chez soi ». Les murs sont tapissés de petits rondins de bois peints de toutes les couleurs sur lesquels les visiteurs ont laissé leur souvenir sous forme de dessins ou de citations. La cuisinière est talentueuse, les bagels sont très bons, et le boss est drôle et intéressant.
Il s’intéresse à notre trajet pour les jours à venir et nous suggère de changer nos plans, au lieu de redescendre vers Kyoto, plutôt poursuivre la traversée via Nagano pour arriver à la mer du Japon. Ceci afin d’éviter les grosses villes, vu le contexte. On va sérieusement y réfléchir.
Ila Guest House
Quand la pluie commence à tomber nous sommes à 8 km de l’arrivée à la « Ila Guesthouse ». Nous avons juste eu le temps de faire nos courses dans un kombini isolé du bord de route. Nous avons eu le nez creux parce que la pluie ne va pas cesser de la nuit, ni le jour suivant et il n’y a rien pour s’approvisionner autour de la guesthouse ; laquelle doit être un endroit charmant aux beaux jours mais sous la pluie c’est assez tristounet ; un endroit assez déconcertant, loin des critères japonais habituels. Les chambres sont disséminées autour d’une cour dans d’anciens bâtiments rafistolés de bric et de broc. Notre hôte a l’air d’un baba cool très cool, il nous guide pour mettre le chauffage au pétrole (qui pue quand on l’allume) mais on s’y fait vite, et puis vu le froid extérieur on est bien contents d’avoir un peu de chaleur. Pour trouver le bâtiment cuisine c’est de l’autre côté de la cour, tout aussi folklo que notre chambre : un nombre important de fauteuils sont entassés dans cet espace cuisine qui n’a pas d’eau courante avec un petit évier pour jouer à la dinette. On ira chercher de l’eau dans une salle de bain pour cuisiner et faire la vaisselle. Ça n’est pas très bien pensé comme organisation et ça nous fait bien rire.
Okaya
Quand on quitte Ila Guesthouse après une journée de confinement (pour cause de pluie) nous avons droit à un superbe soleil sous des températures fraiches et un vent de face. La surprise du jour sera les monts autour de nous qui se sont coiffés de neige pendant la nuit, ils vont agrémenter sacrément notre horizon pour les jours à venir. Nous montons tranquillement entre 4 et 6%, juste de quoi nous réchauffer sans souffrir. La nature est belle, les jonquilles fleurissent sur le bord des routes et dans les jardinets, les cerisiers sont magnifiques, oscillant dans des dégradés de couleur rose. Nous nous fondons tranquillement dans cette nature généreuse printanière.
Okaya
Ville balnéaire de moyenne montagne est située le long du vaste et beau lac Suwa (on aurait d’ailleurs pu la nommer Okayak) qui semble avoir des propriétés magiques. Les villages montagnards sont entourés de sapins, les stations de skis sont situées encore plus haut, les panneaux de signalisation avec des pictogrammes explicites de skieurs pour ceux qui ne comprennent pas les caractères hiragana japonais.
Ce lac superbe déclenche des bouffées d’enthousiasme, des sauts d’euphorie, des poussées de délire. Bizarre, non ? On n’a pas trouvé d’explication rationnelle à ces comportements qui ne le sont pas, mais on n’a pas cherché non plus.
Ce sera l’occasion de dire un dernier adieu au Fuji-san qui trône fièrement à l’autre extrémité du lac, mais il est possible que ce ne soit qu’un au-revoir, tant grande est l’envie de revenir un jour lui rendre visite et qui sait, partir à l’assaut de son sommet !? C’est ici que Joël va perdre une énième paire de lunette. Il en sera quitte pour redoubler en espérant la retrouver, en vain… mais le fûté a pensé, au moment de préparer ses sacoches, à en prendre une seconde paire (au cas où !)
Le Fuji San a bien rétréci depuis Fujiyoshida où sa silhouette dominait pratiquement la ville, ici il se laisse admirer de loin, le cadre est charmant. Les locaux nous conduisent là où nous avons encore une meilleure vue pour faire nos photos.
Huit kilomètres encore de montée pour vingt deux de descente (les derniers en douceur). Devant nous maintenant c’est la chaine des Alpes Japonaises Nord avec le massif des monts Hida. Massif qui s’étend sur quatre préfectures dont celle de Nagano où ont eu lieu les jeux olympiques d’hiver dans la ville éponyme en 1998. Au gré de chaque virage nous découvrons un paysage extraordinaire. Le point culminant est le mont Okuhotakadake avec 3 190 mètres, ses petits voisins le mont Hida n’a seulement que 3 106 ou le Nishi à 2 909. On vous fait grâce des autres.
Matsumoto
Notre arrivée cette vallée des Alpes se fait tout en douceur ; on ne compte plus les arrêts pour profiter du paysage. Jusqu’à embrasser une bouteille de Syrah, cépage du cabernet-sauvignon dans une bouteille de bordeaux géante, près d’une propriété viticole tenue par une famille italienne ! Irène est en manque de ce précieux nectar.
Le châto
Ah la vache, le château de Matsumoto, c’est quelque chose !
Superbement conservé alors que sa construction remonte au XVe siècle, devenu Trésor national du Japon, le bâtiment est sans doute l’un des châteaux japonais les plus représentés, grâce notamment à sa superbe robe noire tout en bois qui lui vaut le surnom de « corbeau noir ».
Une de ses caractéristiques les plus étonnantes réside sans doute dans le fait qu’il n’a jamais été reconstruit : il s’agit bien de l’édifice d’origine que l’on visite encore aujourd’hui.
Sauf évidemment qu’on ne peut pas le visiter, comme le reste il est fermé ; l’avantage de l’inconvénient est que l’accès au parc est gratuit jour et nuit, mais c’est surtout avec un peu de recul qu’on apprécie le plus ce monument, plutôt qu’en l’approchant. Evidemment les cerisiers en fleur bordent les allées qui l’entourent offrant des vues dignes de cartes portales. Les amoureux roucoulent sur les bancs « publics », les autres se concentrent sur la contemplation de ce vieux château et du charme des alentours dans un calme reposant.
Alps Park
Sur les hauteurs de la ville se trouve ce parc qui est vraiment joli. Heureusement, parce que grimper là haut est assez ardu, même avec un vélo non chargé (Irène a préféré rester en ville à la recherche des fontaines ).
Les vergers de 500 cerisiers en fleurs attirent les visiteurs, les enfants sont ravis par les grandes aires de jeux, tout le monde y trouve son compte. Les montagnes aux alentours forment un bel écrin, ça valait le déplacement.
En ville
Les guides touristiques ne trouvent pas grand chose d’intéressant à Matsumoto, à part le château bien entendu. Nous ne sommes pas d’accord, en se baladant un peu on découvre de beaux endroits, il suffit de prendre son temps ; nous allons rester quatre jours dans cette ville.
Entre les ruelles Nawate et Nakamachi il y a de quoi satisfaire notre curiosité. Les anciens greniers à riz ont été transformés en maisons particulières ou en boutiques. C’est le plus vieux quartier de la ville. Ses fontaines d’eau pure ont été mises en valeur, les habitants y viennent remplir leurs bidons et bouteilles. Les vieux temples sont toujours honorés, qu’ils soient boudhistes ou shintôs.
La rivière Metoba est surplombée par de jolies « carp steamers » ou « Koï nobori » en japonais. Ce sont des grandes carpes en manches à air de toutes les couleurs, elles ont été mises en place en travers de la rivière en l’honneur de la fête des petits garçons qui aura lieu le 5 mai prochain. C’est sur le pont de Sensaï où est est en train de se demander comment remettre à l’endroit celles qui s’étaient entortillées autour de la corde quand on voit arriver un vieux monsieur au volant d’un petit camion. Armé d’une perche en bambou il se charge de remettre en place les récalcitrantes. Joël qui a de plus grands bras va venir à son secours.
C’est ici que nous rencontrons Marcella et Thomas, deux cyclistes très sympas qui voyagent six mois en Asie. Bien que lui soit anglais et elle d’origine grecque, ils parlent parfaitement français, c’est bien agréable pour nous. Leur parcours va les emmener vers le nord du Japon, ils progressent dans le même sens que la floraison des cerisiers, néanmoins ils risquent d’avoir plutôt froid par là haut en cette saison.
L’artiste Yayoi Kusama a trouvé un bel endroit pour faire pousser ses fleurs aussi géantes que curieuses, on trouve dans son style des analogies avec Niki de Saint Phalle. Cette artiste est née à Matsumoto, le musée d’art est consacré aux oeuvres de cette artiste renomée. Sa passion pour les pois rouges a déteint même sur des bus de la ville, c’est sympa. Hélas nous ne pouvons pas visiter ni le musée d’art, ni le musée d’estampes japonaises, ni celui de l’horlogerie ; virus machin chose a clos les portes.
L’atmosphère des ruelles moyenâgeuses est loin de l’agitation qui règne en temps ordinaire, c’est à dire avant l’ère « corona ». Les bistrots ont rentré leurs tables, les vieilles boutiques ont fermé les portes, seuls quelques petits restos et magasins de vieilleries restent ouverts et attendent les rares clients. Les touristes ont déserté le Japon comme tant d’autres pays, chacun reste chez soi ; nous nous sentons à la fois bien seuls et pourtant nous apprécions de pouvoir parcourir à pied les rues typiques de cette petite ville de province, à notre guise, sans y rencontrer la foule. La magie opère devant les vieilles fontaines, les petits ponts de bois, les bassins à carpes ou les balles de « temari » qui ont fait autrefois la réputation de la ville. Ce sont à l’origine des boules de pelotes de vieux tissus de kimonos et tissées de fils de soie ; même les plaques d’égouts sont décorées en temari !
Le mont Norikura
Une journée sur un plateau d’altitude, c’est tentant, non ? Alors depuis la gare on saute dans un train pour le village rural de Shin-Shimashina. Les employés sont au petit soins pour nous, nous guidant avec attention et courtoisie sans doute bien contents d’avoir de la visite aujourd’hui, (nous sommes les seuls voyageurs à descendre ici). Ils nous accompagnent vers le car qui va nous emmener à travers une multitude de virages et de vallées jusqu’aux abords du mont Norikura (3 026 m). Une route en lacets avec des gorges encaissées où coule les eaux contrariées par trois immenses barrages. Une douzaine de tunnels, plus ou moins longs et quelques hameaux disséminés sur les hauteurs en bordure de route. Des côtes à plus de 10%, on se demande si les cyclistes sont autorisés à circuler vu l’étroitesse de la route et la profondeur des gorges ?! En tout cas c’est la tranquillité assurée pour les habitants de ces contrées isolées, un havre de paix dans un paysage sauvage.
Arrivés sur place, c’est un peu la déception : Il n’y a pas âme qui vive, à part la dame de l’office du tourisme qui doit s’ennuyer comme un rat mort. Ce n’est certes pas de sa faute, mais celle de la saison de ski qui est terminée et du virus qui est loin de l’être. Au loin la silhouette des pistes de ski se dessinent avec la neige éparse sur leurs pentes.
Qu’à cela ne tienne, on s’en va pour une randonnée en direction de la cascade de Zengoronotaki (il a fallu le retenir ce nom là !). L’itinéraire au milieu des bois est agréable mais on va vite trouver les limites de notre sous-équipement : Comme nous n’avons aux pieds que des sandales, la neige gelée va nous empêcher d’aller plus loin, le chemin escarpé est une vraie patinoire, la neige était encore au rendez-vous il n’y a pas si longtemps. La cascade fait son show juste pour nous, elle est en partie gelée, pas question d’aller faire trempette dans les bassins !
Nous aurions aimé continuer par les chemins escarpés, nous renonçons. Force est de constater que si on se casse la goule ici, ça va être chaud pour faire venir les secours et en plus on ne pourra plus monter sur nos vélos, le choix est vite fait… hein Joël !!!? Ce n’est pas bien grave, on est quitte pour faire un bout du trajet sur la route au lieu du chemin, mais comme il n’y a aucune voiture à passer par là ça demeure agréable.
Le petit lac gelé de Ushidome est joliment enchâssé dans la forêt, il sera le terme de notre sortie, nous ne sommes encore qu’au milieu de l’après-midi mais on ne peut pas faire grand chose de plus. Quelques randonneurs (bien équipés, eux) nous font envie, mais on trimballe déjà assez de fourbi comme ça, pas question d’ajouter le matos adéquat et puis nous sommes venus pour profiter du printemps, pas de l’hiver sapristi !!!
Nagano, no !
Finalement, nous ne passerons pas par Nagano, malgré le conseil du gars de « The Yes Bagel ». Ce serait bien mais nous avons réussi à dégotter un vol pour rentrer en France dans huit jours et ça nous donne une échéance à respecter impérativement ; on n’aime pas avoir ce genre de contrainte qui limite notre liberté, mais vu les circonstances et la rareté des vols en ce moment, on ne peut se permettre d’improviser.
Direction donc la mer du Japon en passant au plus court, dans une vallée qui a l’air très encaissée et sinueuse, on verra bien à quoi ça ressemble et c’est peut-être bien aussi.
Hakuba
Avant de s’engager dans cette vallée, on quitte la plaine avec les montagnes en face de nous, c’est agréable parce qu’encore plat (on se doute un peu que ça va bientôt changer) et la vue est superbe. Nous sommes sur la route n°19, celle qui va vers Nagano pendant 10 km et en ce dimanche matin il y a un peu de trafic, ça n’est pas très grave, sauf qu’on préfère les petites routes, alors à Azumino, petite ville paisible entourée de rizières, on bifurque plein ouest, cette fois nous sommes carrément dans les rizières.
Le glouglou de l’eau dans les canaux d’irrigation nous est agréable, autant à la vue qu’à l’oreille. Après recherches nous apprenons qu’il y a 400 000 kms de canaux au Japon (10 fois le tour de la terre !), un travail de fourmis. Les paysans travaillent ici et là sur leurs parcelles, dimanche ou pas visiblement quand il faut s’atteler à la tâche le jour ne compte pas. L’agriculture japonaise est assurée par des petites exploitations familiales d’environ 1,60 ha. Les riziculteurs forment 60% de l’ensemble des paysans japonais, ils assurent les besoins en riz de 127 millions d’habitants. Pour autant les deux tiers d’entre eux sont âgés de plus de 65 ans, néanmoins pour la plupart la riziculture n’est pas leur activité principale. La relève sera-t-elle assurée ?
Le trajet s’avère plaisant, avec des pentes raisonnables, ce dont on se doutait en examinant la carte puisqu’il y a une voie de chemin de fer qui parcourt toute la vallée. Rivières, lacs, ça ne manque pas d’eau par ici, le problème est que dans le ciel non plus, les nuages sont menaçants. Pourvu qu’on arrive avant de se prendre une saucée…Le regard que portent les riziculteurs sur ces deux voyageurs à vélo est amical, ils nous gratifient de saluts et d’encouragements « gambatte » sonores. A Omachi nous allons manger sur un banc à la sortie du magasin sous l’oeil amusé des passants. Au Japon on ne mange pas dans la rue ou dans un lieu public. Si nous sommes sur ce banc c’est parce que l’espace pour prendre les repas à l’intérieur du magasin est clos pour cause de « covid » (encore lui).
Devinez où on dort ce soir ? Hakuba ! Ce n’est pas un retour au pays de la Revolución, loin de là puisque c’est une station de ski, sport assez peu pratiqué à Cuba. Avant d’y arriver nous avons longé les rives de deux lacs de montagne : Inao et Yanaba. Un paysage de rêve, tranquille où il doit faire bon folâtrer par beau temps, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui puisque le ciel a transformé les eaux des lacs en couleurs sombres et bien peu amicales.
La station en question est déserte car elle est fermée pour cause de virus à la gomme, du coup l’ambiance n’est pas aux réjouissances et la bourgade est bien calme, pourtant on va y rester deux nuits à cause de la pluie qui a fini par arriver.
Les moult restaurants sont fermés sauf deux ! C’est dans l’un des deux, tout minuscule, bâti en rondins de bois que nous allons nous régaler d’un « okonomiyaki » savoureux. La patronne est désolée pour cette période un peu spéciale où les japonais vont rester chez eux pendant la semaine de vacances qui s’annonce. Heureusement un fidèle « seven Eleven » ouvert 24/24 se trouve sur notre chemin, on peut y acheter l’essentiel. Nous sommes les seuls occupants dans le petit hôtel où nous logeons qui ressemble à une grande maison bourgeoise normande « Petit hôtel Anise garden », c’est son nom. Le monsieur est charmant, il va même prendre la peine de rentrer nos vélos pour qu’ils ne prennent pas la pluie. Heureusement qu’on n’avait pas mis d’antivol, vu qu’au Japon c’est un accessoire superflu. L’onsen extérieur nous est accessible et nous allons bien en profiter ; faire trempette dans une eau à 40° sous des températures extérieures avoisinant les 3 ou 4 degrés : Un vrai régal.
La descente étonnante

C’est à reculons que nous quittons ces lieux ce matin. Le soleil est là éclairant le massif montagneux du Shiro Uma Sanzan sous un angle particulièrement flatteur. C’est ici que se tinrent les épreuves de vitesse et de sauts lors des jeux olympiques de Nagano en 1998. Nous apercevons d’ailleurs le tremplin gigantesque sur le flanc de la montagne. Nous traversons tranquillement la petite ville de Hakuba qui ne compte qu’à peine 10 000 âmes hors saison de ski. Un arrêt au magasin pour y acheter notre picnic et c’est parti pour une perte d’altitude de 900 mètres par la fameuse route 148, la route des tunnels.
Plus de cinquante kilomètres de descente, c’est plutôt sympa, on s’en régale d’avance. Passer d’une station de sports d’hiver à une ville côtière via des gorges encaissées, ça va être chouette.
Sauf que c’est loin d’être aussi agréable que prévu pour trois raisons :
- Il y a un nombre invraisemblable de tunnels, certains de plus de 2 kilomètres de longueur, pour la vue il y a mieux. Et quand ce ne sont pas des tunnels ce sont des sections couvertes sur des kilomètres, ce n’est guère mieux. Certes, c’est pour protéger les usagers de la route des morceaux de montagne qui ont le mauvais goût de s’effondrer de temps en temps, mais ce n’en sont pas moins des nids à courants d’air.
- La circulation n’est pas intense mais est essentiellement composée de gros camions, lesquels ont parfois tendance à doubler d’un peu trop près.
- Ça caille, on doit mettre les gants et même se couvrir les oreilles.
On comprend pourquoi le passage par Nagano eut été plus agréable, néanmoins on n’a pas tout faux : Quand on peut s’écarter de la grosse route on évolue au calme dans de beaux paysages. Même les tunnels peuvent devenir intéressants quand on se retrouve devant une barrière en interdisant l’entrée, la route étant manifestement désaffectée ; à vélo on passe partout, même là où on n’est pas sensés le faire et malgré l’obscurité totale, ça ajoute un peu de piment à la journée.
On ne voit que de façon parcellaire la rivière Himekawa qui zigzague au fond des gorges. Les villages si petits et si loin de tout accrochés dans la verdure sur les pitons rocheux. Il faut être motivé pour vivre ici. Quand nous sortons du dernier tunnel nous sommes un peu étourdis, à la fois par le stress engendré par les camions mais aussi par le froid dû à la descente. De plus on se retrouve devant une large vallée ouverte alors que nous venons de quitter la montagne aux sommets enneigés et aux forêts denses. Quel contraste en si peu de temps avec une différence de température significative. Nous avions monté tout ça ? !
Itoigawa, chez Keiko
Cette ville côtière va nous réserver une belle surprise. Alors qu’on ne sait pas trop où aller crêcher, on délaisse un grand hôtel bien trop cher pour se rabattre sur une chambre d’hôte ayant l’air un peu bizarre. Le fait est que l’endroit est insolite, il s’agit d’un café jazz au dessus duquel se trouvent deux chambres à louer. On ne va néanmoins pas être gênés par le bruit, il n’y a pas plus de musiciens que de clients en cette période anormalement calme.
La propriétaire est une personne très intéressante, passionnée de musique ; elle a créé ce café il y a huit ans et son bonheur est d’y accueillir des artistes et leur faire la cuisine pendant qu’ils se produisent.
Vu l’endroit et la météo toujours maussade, on décide de rester le lendemain et ce sera une journée mémorable : Keiko se propose de faire la guide et de nous emmener en voiture, en compagnie de l’occupante de l’autre chambre. On commence par découvrir le temple local, superbe avec son toit de chaume et ses pierres moussues.
"LE "SUPERMARCHÉ DE LA GÉOLOGIE" C’est ainsi que l’UNESCO surnomme le géoparc d’Itoigawa. Autrement dit, on y trouve de tout : des montagnes de près de 3 000 mètres d’altitude, des canyons, des falaises, des fonds sous-marins ou encore des gisements de jade. La faille Ito Shizu correspond à la partie ouest de la Fossa Magna, ce fossé souterrain qui traverse l’île d’Honshu de la mer du Japon à l’océan Pacifique. De cette façon, explique l’UNESCO, "le géoparc d’Itoigawa raconte non seulement l’histoire de l’archipel japonais, mais aussi celle de la planète Terre". Un terrain de jeu inespéré pour les passionnés de géologie !"
C’est l’opportunité d’une visite au « Fossa Magna Muséum » musée des minéraux, qui est très intéressant et a le bon gout de ne pas être fermé, contrairement à tout le reste. On y est surpris d’apprendre que toute cette vallée, que nous avons parcourue les jours précédents fut par le passé une fosse océanique qui séparait deux îles désormais réunies, ce qui explique la richesse géologique des lieux, d’où l’existence du musée, CQFD. Les passionnés de géologie mais aussi les néophytes ne peuvent que tomber raides admiratifs devant la richesse des collections de minéraux et de fossiles ici rassemblées. Vidéos, écrans tactiles et autres technologies font de ce lieu un temple dédié aux beautés que cache la nature. Une belle découverte, un petit bijou crée en 1994 et entièrement restauré en 2015, où nous aurions pu passer la journée, si notre guide n’avait prévu d’autres visites.
S’ensuit une longue balade en montagne, sur des routes minuscules et archi pentues, on ne serait certainement pas allés là à vélo. Belles cascades, beaux paysages, un régal.
Régal au resto aussi, choisi évidemment par Keiko qui décide de nous faire découvrir la cuisine typiquement locale traditionnelle. Elle nous emmène dans une maison ancienne. aucune indication que ce lieu est un restaurant, c’est le bouche à oreilles qui fonctionne, les gens le savent c’est tout ! Nous allons engloutir une soupe de « soba« , ces pâtes de sarrasin faites à la main, des jeunes pousses de fougères fraichement cueillies dans la montagne, de succulents « tempura » de légumes et de crevettes, le tout arrosé d’un thé vert très léger aux graines de sésame fumées. Nous sommes assis sur des coussins à même le sol, mais fort heureusement sous la table il y a un creux où on peut mettre nos petits pieds d’européens parce que rester assis en tailleur pour manger ça nous reste parfaitement inconfortable.
La balade va se terminer par un passage à l’onsen. Il s’avère un peu difficile d’en trouver un d’ouvert, ou bien c’est le jour de fermeture, ou bien ils sont réservés aux locaux. Notre futée Keiko va réussir à nous faire entrer (sans graisser la patte à l’ouvreur ). Joël tout seul avec les hommes et les femmes entre elles. Il ne faut faut pas être complexée ou prude ici parce qu’on de déshabille devant les autres, on se dirige nues dans l’espace des douches et on se lave également assises ou non sur des petits tabourets à la vue de toutes. Le bain est fait pour se relaxer pas pour se laver, donc on se savonne consciencieusement. Savon, shampoing, tout est prévu pour être nickel propre avant de faire plouf en compagnie des autres femmes. Si chacune lorgne sur les nouvelles arrivantes, elles le font discrètement. Une bonne demi-heure plus tard nous sommes « cuites » à point dans une eau de source chaude à 40 degrés. Dans la salle de rhabillage tout est prévu pour que ces dames ressortent les cheveux secs, le corps enduit de lait hydratant. Certaines prennent le temps de se pomponner et ça discute à tout va. La visite à l’onsen est un moment privilégié de détente pour les japonais ; nous aussi on adore ! (Pas de photos, ce serait inconvenant).
Oups !
Il est temps de quitter notre gentille Keiko mais au moment de repartir Irène se rend compte que le guidon de son vélo est bizarre. Et pour cause, il est en train de se casser méchamment, deux vilaines fêlures autour d’une encoche initialement prévue pour faire passer des câbles mais qui a créé un point faible suite aux chutes du vélo au fil des années (hier soir à cause du vent).
Damned ! On n’a plus qu’une centaine de kilomètres à parcourir mais est-ce que ça va tenir ou la poignée va-t-elle finir par céder ? Mettons tout de suite un terme à ce suspense intenable : Irène repère illico un atelier de mécanique auto, le type ne comprend pas un mot d’anglais mais connait bien son boulot (ça vaut mieux que le contraire), il a tout de suite vu où était le problème ; un quart d’heure après le guidon est plus solide que jamais.
Tant mieux parce que le long de la route on se paie des bourrasques de vent à décorner les boeufs, tenir l’équilibre n’est pas évident. Dans une section de tunnels ouverts sur la mer, qui de plus est montante, les ouvriers qui travaillent sur les aménagements nous font suivre par une voiture pour stopper la circulation derrière nous et assurer notre sécurité, incroyable ! Ça se gâte encore avec la pluie, quelle journée !
Heureusement, un petit restau ouvrier où on est super bien accueillis nous apporte le réconfort pendant que la pluie tombe dru. Deux clients fort drôles nous racontent plein de trucs qu’on ne comprend pas mais peu importe, on est bien et le poisson y est bon. Le patron qui nous a vu arriver en vélo nous offre des chaufferettes pour se mettre sur le ventre et les bras, il pense que nous avons froid, nous ne pouvons pas refuser ce petit présent. C’est ici que nous apprenons que Nagano vient de subir un tremblement de terre de magnitude 6,5 sans victime et sans trop de dégâts.
Après une étape sans grand intérêt dans la ville éteinte de Nyuzen, où nous pouvons faire quand même nos courses, nous pouvons rejoindre notre ultime destination.
Toyama, terminus
Les monts enneigés ne sont jamais bien loin quand on longe cette côte de la mer du Japon. Bien que relativement urbanisée, des zones de cultures permettent de profiter de beaux paysages.
Sitôt arrivés à Toyama, on se met en quête de papier-bulles pour emballer nos vélos en vue de les embarquer dans les soutes de l’avion. C’est plus compliqué que prévu, mais l’incroyable sens du service des Japonais va une fois de plus opérer, un monsieur qui n’a pas ce produit dans sa boutique va se décarcasser pour nous en trouver, et nous conduire sur des kilomètres jusqu’à un genre de « Leroy Merlin » pour le retour nous allons faire 4 km à pied avec nos rouleaux encombrants dans les bras, heureusement que ce n’est pas lourd. Mission accomplie, on peut passer les deux jours qui restent à se balader.
Le château de Toyama est bien moins impressionnant que celui de Matsumoto, par contre il est entouré d’un très beau parc avec un jardin japonais où il fait bon flâner et rester en contemplation.
Il n’y a quasiment personne, comme dans le reste de la ville d’ailleurs, les consignes gouvernementales incitant les gens à ne pas sortir sont plutôt bien respectées. Pas de contrainte ni contrôle, les Japonais ont le sens de la responsabilité. Vu que quasiment tout est fermé, y compris les centres commerciaux (pas facile pour acheter des souvenirs), on décide d’aller voir le vieux quartier du port.
Pour cela il faut prendre le tram, dans lequel il n’y a pas foule non plus. Le fameux quartier se résume à une rue qui doit être animée en temps normal mais en ces circonstances on doit se contenter d’admirer les vieilles bâtisses traditionnelles fermées. De plus il pleut…
Le réconfort arrive dans un petit café fort heureusement ouvert. Accueillis avec la gentillesse habituelle, nous assistons à une séance de karaoké, activité très populaire au Japon. Nous ayant dégotté une chanson d’Edith Piaf, la patronne donne le micro à Irène qui s’en sort honorablement, bien que les paroles défilant à l’écran soient pour le moins indéchiffrables.
C’est ainsi que se termine notre séjour nippon et notre « saison 6 » par la même occasion. On aurait encore plein de choses à vous conter sur ce pays si particulier, mais la place manque, cet article est déjà assez long. Alors que fait-on, on garde ça pour nous ? Ou alors on vous propose un ultime article dans quelques jours. Chiche ?
Quel plaisir de lire ce récit « rafraichissant » qui nous sort des nouvelles habituelles et voilà que c’est déjà fini. On en redemande.
Bon retour chez vous!
Bon vol !
Bravo pour votre courage ou votre insouciance qui vous auront permis encore un fois de vivre une autre vie.
Et encore merci à tous les deux de partager les moments forts avec toujours ce ton qu’on adore pour les sourires (ou les rires !) qu’il suscite entre deux photos.
Ça oblige un peu à écarquiller les yeux, d’ailleurs, tellement on ne veut pas en perdre une miette !
À votre arrivée, rassurez-vous : après l’hiver nippon on vous a gardé les saintes glaces au chaud histoire de ne pas trop vous dépayser. 😉
Bises et prenez toujours bien soin de vous car on a quelques km à faire à vos côtés pourquoi pas lors d’une velorizon. Enfin si le Covid-machin nous en laisse encore l’occasion pour 2020…
Cédric et sa clique
Bravo et bon timing vous arrivez à la fin du confinement
Ce récit, c’est une invitation en même temps – compte-tenu des circonstances qui nous confinent – qu’une provocation.
Chiche !😊
toujours aussi agréable à vous lire ! bon retour!
Très beau voyage…Merci et Bon Retour chez vous et Nous.Bises
bravo quel beau voyage bon retour daniel
Après la déception de vs avoir vu partir pour un long temps d’absence ai très apprécié les différents récits détaillés et prises de vues qui ont permis de vivre des évasions en étant confinée vers les pays traversés et aimé les descriptions paysages, habitants, coutumes +/- insolites, beauté, richesse et pauvreté.Tout donnait à réflexion.Ya beaucoup de façons d’accepter son destin loin du monde ou parmi la foule; Quel est le mieux!! Constat, ya encore des gens simples qui ont le coeur s/la main,la gentillesse ds le regard et gestes sans rien demander en échange mais acceptent un sourire ou 1 mot sans langage compris qui leur donnent chaud au coeur. BRAVO , vous avez réussit votre parcours aventureux de détente/retraite d’une façon humanitaire. C’est la fin D’UN REVE réalisé.
il peut y en avoir d’autres surtout si les fourmis s’installent et les crevasses guéries….
MERCI pour tout.
LM
Je continue à travers vos récits mon voyage en vélo à travers l’Asie mais cette fois en découvrant avec vos yeux une autre image du Japon. Encore merci et bon retour vers la France qui redécouvre avec le déconfinement les joies du vélo.
Bonjour oui on voit que le japon a plusieurs facettes ..toujours des découvertes …on ne lasse pas ..jamais 203 pour le Japon ! merci
Quel régal de vous suivre libres alors que nous ne pouvions même pas rouler à plus d’un km autour de chez nous ! Quels paysages splendides vous nous partagés ! Merci merci merci mille fois merci.
Bon retour et prenez soin de vous.
Fabienne
Espère une bonne réadaptation malgré le confinement, mais en Bretagne on peut aller à la mer, en forêt dans une nature végétale et animale qui reprend ses droits.
Bonne pause, bien amicalement.
Mamie Nicole