Nickel et cacao

L’enfer et le paradis sont fort proches l’un de l’autre, mais la route qui les relie est pleine d’obstacles. C’est ce que nous allons constater en partant de l’enfer nickelé pour atteindre le paradis cacaoté. Heureusement qu’on fait le parcours dans ce sens là…


 

Alors que Shalom reste faire la grasse matinée à Cayo Mambi, nous attaquons un itinéraire qui promet d’être à la fois intéressant et particulier. Au début, c’est carrément charmant, on pédale entre palmiers, bananiers et manguiers en fleurs. Les rares habitations sont en bois avec un toit végétal, un régal pour les yeux.

Arrivés au village de Sagua et Tanamo, on s’encanaille involontairement sur un « raccourci », une route affreuse mais qui a l’avantage de passer là où habitent les gens alors que la route principale contourne le patelin.

Une fois le goudron retrouvé, et donc un rythme un peu plus soutenu malgré les ondulations du relief, nous croisons nos premiers vrais cyclotouristes ; Elmutt et Stéphanie sont allemands et ont bien aimé la côte sud vers laquelle nous allons, ça nous conforte dans notre choix. Rituel utile, on s’échange les bonnes adresses de casas particulares.
Plus loin, on arrive à rattraper un jeune en hand bike qui fonce drôlement bien, y compris dans les côtes, costaud le gars.

Scènes rurales : Un char à boeufs qui transporte des meubles (vu qu’il n’a pas de roues, il ne risque pas la crevaison), des gens qui attendent un hypothétique bus (en espagnol, attendre se dit esperar, c’est bien vu), un cochon entouré d’une feuille de bananier à l’arrière d’un vélo (il est mort, le cochon, sinon il ne se laisserait pas faire).

Moa et moi en émoi

Moa, ville minière de 60 000 habitants qui travaillent tous plus ou moins pour les deux mines de nickel. L’une de l’État cubain et l’autre en co-entreprise avec les Canadiens. C’est loin d’être la plus belle ville cubaine, peut-être est-ce même la plus vilaine. Il y a un centre commercial triste à mourir, avec des photos de Castro partout et des étagères vides.

Comme il faut bien nourrir tout ce monde là, il y a des boutiques d’État devant lesquels il faut faire la queue (cola) pour pouvoir acheter les produits du jour. Pour le pain, c’est simple, il y en a tous les jours à certaines heures, pour le reste ça dépend de ce qui a été livré.

Moyennant présentation de leur libreta (carnet de rationnement), les Cubains ne paient qu’un prix très bas mais la qualité est au même niveau. N’importe quel boucher français serait horrifié en voyant comment est découpé le cochon, des blocs taillés à la machette, déposés en vrac sur une palette, les clients prennent ce qu’on leur donne, sans différenciation des morceaux.

Pour les fruits et légumes, au moins on peut choisir même si le choix est pour le moins restreint.

Il y a de petits vendeurs de tout un bric à brac, chacun propose ce qu’il a réussi à dégotter, objets aussi hétéroclites  qu’improbables. Un stand vend des gâteaux délicieux, pour une fois il n’y a pas de pénurie de farine, oeufs, beurre ni lait, Irène fait des provisions.

L’enfer du nickel

Pour loger les ouvriers, de nombreuses barres d’immeubles de quatre étages occupent le centre de la ville ainsi que les quartiers périphériques. Elles sont hideuses et dans un état lamentable, il y grilles partout même aux étages les plus élevés, les gens vivent comme en prison. C’est affreusement glauque.

De nombreux camions d’ouvriers se croisent dans les deux sens, sans doute un changement d’équipes. Le long de la route qui mène aux mines, de longs tuyaux, ça fuit de partout, substances toxiques. L’usine de nickel Ernesto Che Guevara trône dans un décor d’apocalypse, surmonté d’une épaisse couche de fumée, entourée de squelettes d’arbres, tout n’est que désolation. La terre et les ruisseaux se confondent en rouge sang, la terre pleure d’être ainsi maltraitée. On n’ose imaginer l’impact environnemental d’une telle horreur. Le reboisement des zones inexploitées n’est même pas envisagé, ça couterait trop cher. Curieusement, les photos sont interdites, mais los Cyclomigratos ne comprennent ni les pictogrammes, ni l’espagnol !

La route qui n’en a que le nom

A peine a-t’on tourné le dos à ce fantôme que la première côte de la journée apparaît dans toute sa splendeur. Il n’y a plus de goudron sur les soixante prochains kilomètres, la « route » n’étant plus fréquentée que par de rares véhicules.

Nous allons attaquer cette première côte en slalomant bon an mal an, échappant aux trous d’eau et évitant la gadoue. un challenge que nous sommes contents d’avoir remporté parce que nous ne sommes pas descendus de nos montures (cette fois ci !).

Nous fuyons devant la mine de Punta Gorda proche de la côte ; quelle est la couleur des poissons qui survivent dans les eaux proches du rivage ? Il ne doit en rester aucun depuis le temps ! Heureusement, ce cauchemar va prendre fin, la montagne et sa végétation tropicale nous attendent.

Sur cette route faite de cailloux qui roulent sous les roues, de nids de poules et de bosses à éviter, il y a des côtes qu’il nous faut monter à pieds en partie parce que nous ne pouvons rester sur nos vélos. Les villages et hameaux sont peu nombreux sur cette section, c’est assez désert. Ceux que nous allons aborder sont des villages de pêcheurs pas bien riches.

Nous croiserons un seul bus au long de la journée, à peine une dizaine de collectivos et deux ou trois « taxis » privés.

Divines surprises sur cette piste si isolée, au croisement du hameau de Canette (ça ne s’invente pas) se trouve un bar tenu par « Captain Pinguto » qui a voyagé en tant que marin (le veinard !) puis une pause coco à un stand de trucs à boulotter comme les « cucuruchos » présentés sous forme de cornets. C’est une délicieuse pâte à base de coco, d’oranges, mangues ou d’ananas, c’est sucré et c’est un super carburant pour monter les côtes. D’autres produits élaborés par eux à base d’amandes et de miel, du jus de canne ou du café sont également vendus dans ces petits stands qui fleurissent un peu partout et qui permettent d’améliorer un revenu de misère. Dès qu’un moteur se fait entendre, tout le monde se précipite pour proposer ses denrées.

Rencontres étonnantes du bord de route où nous prenons le temps de rester un peu avec ces gens qui sont heureux que l’on puisse s’intéresser à leur quotidien autrement qu’un touriste de passage. Comme cette famille qui revient des champs, la charrette tirée par un boeuf chargée de canne à sucre sur laquelle ont pris place deux jeunes enfants. Le grand père aiguillonne son boeuf tandis que les jeunes parents marchent à l’arrière. Partage du pain avec des gens qui attendent un transport, immédiatement boulotté. Femmes qui prennent dans les bras, contentes de voir des visiteurs qui s’arrêtent au lieu de foncer jusqu’à la prochaine plage.

Le plus beau compliment
Cet homme qui tient son petit stand est content qu’on prenne le temps de discuter avec lui, de s’intéresser un peu. Visiblement cultivé, il fait ce petit boulot par nécessité, pour compléter de trop maigres revenus. Sa femme est architecte diplômée, elle ne gagne que 20 $ par mois. Il est très remonté contre le gouvernement, estimant que les Cubains sont exploités. Au fil de la discussion, il nous adresse ce compliment qui nous va droit au coeur : « C’est en voyageant comme vous le faites qu’on peut comprendre ce pays, ce n’est pas en allant en bus climatisé dans les grands hôtels et sur les plages ».

 

D’autres rencontres le long de ce parcours éprouvant mais superbe : Un transport de canne à sucre en charrette, un jeune homme qui a ramassé des coquillages roses et qui s’en va prendre un prochain taxi collectivo pour tenter de les vendre à Moa. La conversation s’engage sur l’état de la route, le gouvernement, leur conditions de vie, les salaires, l’impossibilité de quitter Cuba faute de moyens.

La piste longe la mer d’assez près, avec une descente à chaque crique, un superbe point de vue et une remontée ensuite. Mais la fatigue commence à se faire sentir, il va être temps de se trouver un endroit pour se reposer.

Quelques cochons et coqs de combat plus loin, nous arrivons à la Casa de Robinson, bienvenue.

Playa Maguana

Un jeune cycliste vient à notre rencontre, il appelle Joël par son prénom. On se connait ? En fait, il a été prévenu que nous passerions par là aujourd’hui, c’est le fils d’Agnès, de la casa, qui a pour mission de ne pas rater le client. On connaissait le téléphone arabe, mais le téléphone cubain fonctionne bien aussi, on n’arrive pas incognito.

Nous allons dormir comme des bienheureux dans une jolie cabane en bois construite au fond du jardin, accessible par un petit pont. Rocking chair, hamac, morito costaud, octopus et écrevisses feront le reste.
Les fanions gardent des traces de cette route mémorable, tout aussi indélébiles que nos souvenirs. Rude montée mais que de belles personnes !

Le lendemain matin, c’est jour de lessive partout, les feux de bois crépitent, les gamelles chauffent, la machine à laver est sortie dans le jardin (ce sont des machines toutes simples, pas comme les nôtres).

 

L’étape suivante sera bien plus courte, Baracoa n’est qu’à vingt kilomètres, sur une route digne de ce nom puisqu’elle est asphaltée (avec des trous, mais sinon ce ne serait pas drôle).

Mickaël nous demande comment on s’organise pour se nourrir et dormir, il offre spontanément un cucurucho à Irène, qui en retour offre les bons gâteaux achetés la veille à Moa aux trois enfants aux trombines frisées qui sortent de la maison.

Baracoa

Cette ville (82 000 habitants) accessible par la route seulement depuis 1964 est située sur la côte où a débarqué Diego Velázquez de Cuéllar en 1511.
Elle a subi de plein fouet l’ouragan Matthew en 2006. Aujourd’hui le voyageur a du mal à se rendre compte des effets dévastateurs des éléments. Le centre ville avec ses places est plutôt joli et les maisons restaurées. Les rues adjacentes fleurissent de casa particulares, c’en est incroyable. Cette ville est tellement isolée de ses voisines à cause de son relief montagneux  qu’elle est devenue une ville étape pour les tours operators et les touristes de passage, du coup le business des logements « bon marché » fleurit. Nous n’avons pas le temps de dire ouf, ni de choisir où nous allons nous poser que déjà nous sommes pris en main par Natacha, la belle fille de Jessica de Moa. C’est un peu gênant, nous voilà devenus une marchandise que l’on se balance de casa en casa… bon on est bien contents quand même d’avoir un toit et une bonne douche mais on aimerait bien avoir notre libre arbitre. On va réagir, c’est certain.

Nous décidons de rester 2 nuits dans cette ville pour en faire le tour, nous ne serons pas déçus et puis le temps nous donne raison, voilà qu’il se met à tomber des trombes d’eau, tant mieux autant que ça tombe quand on est à l’abri !

Du fait de son microclimat pluvieux et son isolement géographique, Baracoa propose des spécialités culinaires uniques comme les teti, minuscules poissons pêchés la nuit à la lune déclinante, des crevettes d’eau douce grosses comme des écrevisses, les délicieux cucurucho, ainsi que du cacao et café qui sont cultivés aux alentours.

Quand on se promène dans les ruelles loin du centre historique personne ne tente de nous vendre sa marchandise, bien au contraire. Nous nous arrêtons pour parler avec les habitants ou bien regarder les anciens jouer leur partie de dominos. Par contre, dès qu’on se rapproche du centre où se concentrent les visiteurs on subit le racolage des Jineteros, ces rabatteurs qui tentent de nous vendre des excursions dans la montagne, nous conduire dans le restaurant de leur mère ou de leur soeur  ou en désespoir de cause échanger nos T-shirts. Alors là nous refusons catégoriquement ; nous n’avons que deux T-shirts chacun, pas question de les échanger contre un plus pourri et à trous. Irène a du mal à se séparer du sien qui est devenu informe et tout usé de transpiration, elle y tient comme a la prunelle de ses yeux, elle s’en fout puisqu’il est confortable ! Joël en est désolé, pas moyen de la faire en acheter un autre… de toute façon y’en a pas !

Nos pérégrinations vont nous mener dans une ruelle excentrée où sévit le pendant de « Cap Antigone », tenu par un certain Joel. Pour ceux qui ne le savent pas nous avions avant de partir en vadrouille une petite entreprise d’informatique franchisée, qui ne ressemblait cependant pas à cette échoppe improbable. On dégotte également une boutique de réparation de vélos, à laquelle nous offrons un lot de rustines.

Expérience curieuse mais pas unique, à la poste comme à la pharmacie, on nous demande des stylos pour payer une partie de nos maigres achats. Tout est prétexte à commerce, un homme de 50 ans vend des barres de chocolat artisanal, 1 $ les deux, pour nous c’est correct, pour lui c’est beaucoup et sans doute indispensable pour s’acheter de quoi manger.

Nous sommes rejoints dans notre casa par Julie et Charles, deux jeunes nantais avec qui nous allons partager notre repas du soir. Ils sont arrivés tardivement à cause du triste accident d’un camion collectivo transportant une vingtaine de passagers sur la route que nous allons prendre demain justement en …collectivo… Heu, pas bien : Cet accident a provoqué sept morts, dont un touriste canadien. Route sinueuse et pentue, rendue glissante par la pluie, usure des pneus, vitesse, inattention du conducteur ? Nul ne le sait.

La Farola

Entre Baracoa et la côte sud, il y a un massif montagneux, ce qui explique pourquoi la ville est restée isolée durant des siècles. La route qui a été construite et traverse la montagne s’appelle la Farola, elle est célèbre pour ses innombrables virages et la beauté de ses paysages. Pour la monter, on va opter pour un transport par camion. Ne croyez pas que c’est par flemme, c’est uniquement pour voir comment se déplacent les gens ici, une expérimentation scientifique en quelque sorte, juste pour vous raconter. Mais notre abnégation ayant ses limites, on s’arrêtera au col, afin de faire la descente à vélo, avec le sourire en prime.

On s’en doutait un peu mais on peut le confirmer, le camion, ça secoue. Et pas qu’un peu, vu que la route n’est pas excellente et les virages fort secs. Il faut se cramponner comme on peut pour ne pas glisser de l’étroit banc métallique sur lequel les passagers se serrent comme des sardines ; il faut dire qu’avec nos vélos et fourbi on prend bien la place de dix cubains. Arrivés au sommet, on est bien contents de sortir de là dedans. (Les photos ci-dessus sont pourries, mais le camion aussi, c’est assorti)

La descente vers la côte sud fera l’objet d’un autre récit, chaque chose en son temps. Hasta luego !

 

7 Comments

  1. Çà fait du bien au moral et cela me change les idées de vous lire. Merci
    Béatrice une co-voitureuse d’avant votre dèpart. A bientôt pour vos nouvelles aventures.

  2. Attention à vous Tout de même !!! Je plaisante… j’adore vos récits mais je ne peux m’empêcher de penser qu’on devrait y envoyer les gilets jaunes! Ca équilibrerait le gouvernement et les protestataires!!!😂

  3. Un vrai catalogue à ciel ouvert du concours Lépine. Comme quoi quand on a peu il faut des idées.
    Toujours un gros décalage entre leur monde et le nôtre.
    Ca fait toujours autant rever , et donne envie de partir…..
    Continuez et ne lachez rien….
    A bientôt pour la suite….

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