PSUGLI : Taïwan, c’est en Chine ?

Bonne question ! A laquelle on ne peut répondre ni par oui ni par non, c’est bien plus compliqué que ça.

Si on ne peut guère comprendre un pays sans s’intéresser à son histoire, c’est d’autant plus vrai ici que les relations compliquées entre la Chine continentale et l’île de Taïwan ne datent pas d’hier. Et aujourd’hui encore rien n’est figé, l’empereur le président à vie chinois se fait de plus en plus menaçant : Avoir si près de chez lui une île où les gens sont libres et où le peuple a élu une présidente après avoir condamné à la réclusion à perpétuité le président précédent et sa femme pour corruption doit lui donner des boutons.

Brève histoire (agitée) de l’île :

Les aborigènes

Au commencement, il y a sur l’île deux communautés distinctes d’aborigènes. L’une, sédentaire, vivant dans les plaines de l’ouest et pratiquant la culture, l’autre, nomade, se nourrissant de chasse et de cueillettes, ces peuplades se livrant régulièrement la guerre.
Ça ne vous rappelle rien ? On se croirait en Nouvelle-Zélande avec les Maoris qui se castagnaient à tout crin. Voire en Australie avec les aborigènes présents depuis belle lurette, mais ceux-là étaient pacifiques, ou en nouvelle-Calédonie avec les Kanak. Décidément, là où on va on retrouve des aborigènes.

Les Chinois

Dès l’an 239, une expédition militaire de plus de 10 000 hommes est menée par la Chine continentale ; puis bien d’autres campagnes, mais c’est surtout au XVe siècle que les Chinois viennent massivement s’installer sur l’île. Évidemment ils repoussent les aborigènes vers les montagnes et exploitent à leur place les plaines, développant les cultures de canne à sucre, thé et riz et se lançant dans le commerce avec le continent. Arrivent ensuite des populations du Fujian qui chassent les Hakkas précédemment installés, pour les repousser vers l’intérieur.

Les Portugais, Hollandais et Espagnols

Les Portugais, premiers Européens débarqués à Taïwan, nomment l’île Formose (La belle île); ils construisent un fort, dans le nord, mais ils ne vont pas rester bien longtemps. Les Hollandais arrivent à leur tour en 1622 et bâtissent au sud de l’île quatre forts dont le plus important, le Zeelandia, existe encore de nos jours, on l’a visité. Leur installation ne se fait pas sans heurts, ils doivent se mesurer non seulement aux populations locales mais aussi à ces fichus Espagnols qui sont aussi dans le coin, auxquels ils mettent la pâtée pour piquer leurs forts.
 Les relations sont difficiles avec les autochtones : alors que les locaux payent de lourdes charges, les colons disposent de privilèges et d’avantages exorbitants, des missionnaires tentent d’évangéliser les populations récalcitrantes, sans compter que les Hollandais ont la mainmise sur le commerce. La machine est parfaitement graissée, ils assurent à leurs navires et partenaires la sécurité des mers, en entretenant de bons rapports avec les pirates. Les prérogatives coloniales ne s’arrêtent pas là. Les Hollandais louent à prix élevé aux immigrants chinois des terres agricoles, que ces derniers, vaillants et habiles, défrichent et cultivent pour le compte des fermiers hostiles à toute transaction avec les Chinois. En 1652, la situation entre les colons et la population locale devient critique lorsque la Hollande vote un impôt sur l’exploitation agricole ; les paysans se révoltent. L’insurrection est réprimée dans le sang, 6 000 personnes trouvent la mort.

Les Chinois encore

Cette fois-ci les Chinois vont mettre le paquet : Avec 100 000 hommes et 30 bateaux, le chef de guerre rebelle Koxinga réussit à débarquer à Taiwan et harcèle les Hollandais qui, après huit mois de combat, capitulent et rentrent chez eux. Mais ce n’est pas simple en Chine non plus, il y a des dissensions et un ancien officier de Koxinga qui a retourné sa veste prend le contrôle de l’île qui prend le statut de préfecture chinoise. Finie la relative indépendance, il faut rentrer dans le rang. Les autorités Qing, craignant de voir Taïwan, terre d’accueil des pirates, devenir un bastion de la résistance au pouvoir central, obligent dans un premier temps 100 000 émigrés chinois à revenir sur le continent. Les autres ont interdiction de nouer des contacts avec les populations locales, ainsi les mariages mixtes – chinois, aborigènes – sont hors la loi. Cependant, les Taïwanais, de nature rebelle, se révoltent. En deux siècles de dynastie qing, on compte plus de 100 soulèvements ou révoltes d’importance.

Les Anglais et les Américains

Taïwan est devenue attractive, l’agriculture prospère : le camphre, sucre, thé et riz sont des denrées très recherchées. Des ressources qui suscitent des convoitises. Le ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne envisage prendre le contrôle de Formose, pour ouvrir un nouveau marché, et avoir un pied à terre en Chine. Le commandant dans la marine américaine réalise lui aussi l’importance stratégique de l’île, et insiste pour qu’elle soit placée sous le « protectorat » des Etats-Unis. Ça ne va pas se faire tout de suite, mais ça viendra…

Les Japonais

Plutôt vindicatifs, les officiers japonais réclament l’annexion pure et simple de Taïwan, et celle de la Corée et des îles Ryukyu. Du coup, la guerre entre la Chine et le Japon finit par éclater en 1894. Les Japonais envahissent la Corée, les Chinois envoient des bateaux de guerre pour secourir les Coréens, mais ces derniers sont coulés avant même d’arriver. Bingo ! Taïwan et les îles Pescadores sont cédées au Japon.

Les Chinois stationnés dans l’île ne sont pas d’accord et déclarent l’indépendance de Taïwan tout en organisant une résistance. Peine perdue, les troupes japonaises débarquent dans l’île et zigouillent 7 000 soldats chinois et plusieurs milliers de civils pour faire bonne mesure.



L’occupant japonais ne fait pas dans la dentelle, il emploie la force et la terreur pour s’imposer, s’employant à mater l’esprit rebelle taïwanais : En 20 ans, 10 000 Chinois et aborigènes sont exécutés.
 Les Japonais procèdent à l’assimilation culturelle qui atteint son paroxysme en 1937 avec la politique de naturalisation des insulaires. Les Taïwanais sont obligés de prendre un nom japonais, de s’habiller et de manger à la japonaise et surtout d’abandonner leur culte, le taoïsme, pour les croyances japonaises. Les Taïwanais, toujours aussi rebelles, se débrouillent pour contourner ces obligations, notamment en cachant les statues de leurs divinités au fond des temples et mettant en avant celles qui plaisent à l’envahisseur.

Les chinois, toujours

Même si vos souvenirs scolaires sont un peu lointains, vous savez que lors de la seconde guerre mondiale la Chine continentale était engagée aux côtés des Alliés alors que le Japon était dans l’autre camp. Suite à un accord entre Churchill, Roosevelt et Tchang Kaï-chek, Taïwan redevient  province chinoise lors de la reddition du Japon en 1945. Fin de 50 ans d’occupation nippone.
La population accueille ce transfert de souveraineté dans la liesse, mais ce n’est que de courte durée car le gouverneur nommé par Tchang Kaï-chek est un homme corrompu et violent ; Taïwan, après ces années de guerre, souffre de chômage, de l’inflation, du manque  de nourriture, et la population supporte très mal les avantages concédés aux Chinois continentaux qui migrent en grand nombre. Le mécontentement va grandissant et atteint son paroxysme le 28 février 1947, à l’occasion d’émeutes. Le gouverneur réprime dans le sang cette révolte. La loi martiale est instaurée cette même année (elle demeurera en vigueur jusqu’en 1987 !).

En Chine continentale, pendant ce temps là, ce n’est pas triste non plus. De 1946 à 1949 les nationalistes de Tchang Kaï-chek (soutenus par les Etats-Unis) combattent les communistes de l’armée « populaire » qui, comme chacun sait, l’emportent allègrement. Tchang Kaï-chek est contraint à l’exil, lorsque Mao Tse Tung déclare la République Populaire de Chine. Il installe son gouvernement à Taipei, et emporte la Constitution et le drapeau chinois ; Avec lui, plus d’un million et demi de Chinois prennent la route de l’exil.

Les Taïwanais

A Taiwan ça ne va pas se passer sans douleur, Tchang Kaï-chek instaure un régime autoritaire et entreprend de grandes réformes. Quand il meurt en 1975, il laisse un pays économiquement riche et puissant, mais politiquement opprimé. Le Parti nationaliste a les pleins pouvoirs, toute velléité d’opposition est réprimée et les opposants sont jugés et condamnés après des parades de procès. La population taïwanaise ne peut pas voyager sans autorisation gouvernementale ; les coutumes taïwanaises et aborigènes sont interdites, de même que l’usage de la langue taïwanaise (comme du temps des Japonais, c’était bien la peine…).

Deux Chine ?

C’est là qu’on en arrive à la question du début : Taiwan c’est en Chine ou non ?

C’est ubuesque : Les deux camps revendiquent la totalité du territoire, d’ailleurs Taïwan est officiellement la « République de Chine » par opposition à la « République Populaire de Chine » des communistes (lesquelles ne sont guère plus communistes que populaires).

La situation a considérablement évolué au fil du temps, Taiwan est une démocratie moderne (inspirée des institutions de la Ve République française) qui s’est même permis d’élire une femme présidente, laquelle est en phase avec la population qui est très réticente à tout rapprochement avec la Chine. Les entraves à la liberté de circulation ont été levées, d’ailleurs plus d’un million de touristes chinois viennent visiter l’île chaque année.
Du coté chinois, le régime supporte mal cette île toujours aussi rebelle et les menaces d’intervention militaire ne sont pas rares.

Les USA soutiennent Taiwan sans toutefois lui reconnaitre un statut indépendant, comme d’ailleurs quasiment tous les pays du monde qui ne veulent pas se fâcher avec Pékin, business oblige.

La donne pourrait cependant changer avec l’imprévisible Donald Trump qui a eu l’audace de parler avec la présidente Tsai Ing-wen, première conversation entre les dirigeants des deux pays depuis l’établissement de relations diplomatiques entre Washington et Pékin.

 

L’Histoire est toujours en marche, espérons que les temps à venir permettront aux Taïwanais de rester aussi libres et souriants qu’aujourd’hui.

5 Comments

  1. Bonjour avec le Soleil de Rochefort-sur-Mer! !hi
    Très intéressant reportage ..
    Très pédagogique dans la progression!
    Très bien écrit
    Merci
    Cordialement
    Bernard

  2. Great history lesson for us. We know that Taiwan is Chinese, but didn’t know the history of Taiwan. We enjoy reading your blogs. Dean & Petreah

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