Cette fois-ci, le passage d’un pays à l’autre ne surprend guère : Mêmes paysages montagneux, mêmes dépôts de détritus dans les fossés, mêmes véhicules locaux hors d’âge, mêmes véhicules luxueux immatriculés en Suisse, en Italie ou en Autriche, et surtout même accueil chaleureux.
Si la monnaie n’est pas la même (on passe des Leks aux Dinars), la langue ne change pas car nous sommes dans une région albanophone ; mais c’est compliqué, ces histoires là, justement à cause de l’Histoire, même récente. Lorsque la Macédoine a pris son indépendance, la constitution a exclu les minorités, ce qui est problématique car lesdites minorités représentent une part importante de la population. Il semble que ce petit pays embarrasse tout le monde, aussi bien les pays voisins que les européens et les américains. Les macédoniens que nous avons rencontrés sont désabusés, ils n’attendent plus rien des politiques et redoutent à l’avenir de nouvelles explosions de violence.
C’est notamment ce que nous apprend Alban, qui travaille pour un grand groupe de distribution français. Passionné par son pays, il est intarissable sur les Balkans et nous apprenons avec lui bien plus que nous ne l’aurions fait en potassant un guide ; accompagné de son jeune fils, il ne peut devant lui tout nous dire sur les atrocités qui ont été commises, mais on comprend bien que les peuples menés par des leaders excités peuvent en arriver à commettre des actes impensables quelques mois auparavant.
C’est à Struga que nous avions rencontré Alban, c’est une ville agréable qui semble relativement prospère, le contraste est saisissant avec la région d’où nous venons.
En effet, notre entrée en Macédoine se fait par une vallée extrêmement plaisante qui part de la ville de Debar, une quarantaine de kilomètres plus au nord. C’est là que nous aurons apprécié le meilleur repas depuis bien longtemps, au restaurant Venecija dont le patron ressemble à José Garcia, aussi bien physiquement que par sa jovialité ; mais qu’est-ce qu’il cuisine bien, celui-là, ça fait plaisir (Quoique José Garcia cuisine peut-être bien aussi, mais il ne nous a pas encore invités). Et ceci pour un prix modique, moins de 10 € pour deux, boissons comprises.
le lac Debarsko
La vallée est donc très intéressante, nous la recommandons à tous les cyclistes car c’est un modèle de route en excellent état, peu fréquentée, au relief prononcé mais loin d’être insurmontable, avec de magnifiques vues sur le lac Debarsko puis sur la rivière.
Spot de bivouac tranquille
C’est d’ailleurs au bout du lac que nous trouverons un magnifique emplacement pour planter la tente, sur lequel nous rejoindront plus tard cinq scouts allemands qui remontent la rivière dans un bateau minuscule et sont équipés de manière pour le moins rustique.
Arrivée tardive
Comme nous nous interrogeons sur la présence de poissons dans ce lac, voici qu’arrive un petit bateau avec deux pêcheurs : Assid, 38 ans, et son jeune frère de 16 ans ; ce dernier est pêcheur parce qu’il n’aime pas l’école et de toute façon « ça ne sert à rien puisqu’il n’y a pas de travail après ». Assid a quatre enfants et habite à Debar, mais il passe ses nuits sur le lieu où nous sommes, dormant dans une caravane déglinguée car il pose ses filets le soir et les relève le matin, ceci tous les jours de l’année sauf deux ou trois jours par mois où il reste à la maison. Ses poissons, magnifiques, sont vendus à des restaurateurs, ce qui lui assure un revenu d’environ 500 € par mois, sans doute juste suffisant pour survivre. Il faut savoir qu’en Macédoine, comme en Albanie, le prix des carburants est le même qu’en France, et l’énergie est très chère aussi. Le salaire minimum est de 140 €, mais dans les faits le salaire courant se situe entre 300 et 400 €.
Départ
Assid est amer lorsqu’il parle de son pays et des relations avec les pays voisins, il en arrive à conclure que « la Macédoine, ça n’existe pas ». Il n’est pas le seul, plus tard nous rencontrerons un homme qui a un magasin de luminaires ; après vingt cinq ans passés dans la banque, il a perdu son emploi et pu ouvrir ce ce commerce grâce à ses économies et ne se plaint pas, ça marche plutôt bien grâce aux macédoniens expatriés qui viennent ici se construire une maison. Mais son fils travaille avec lui car il n’y a aucun emploi possible, le taux de chômage est ahurissant, la corruption est généralisée, c’est très difficile pour les jeunes.
Belle pêche, faibles revenus
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Une histoire qu’ils se racontent :
« Merkel, Obama et le premier ministre macédonien s’entretiennent de la situation économique de leurs compatriotes.
Merkel explique qu’en Allemagne les gens gagnent 1200 €, ont besoin de 800 € pour vivre, le reste on ne sait pas où ça va.
Obama explique qu’aux USA les gens gagnent 1200 $, ont besoin de 800 $ pour vivre, le reste on ne sait pas où ça va.
Le premier ministre explique qu’en Macédoine les gens gagnent 300 €, ont besoin de 800 € pour vivre, le reste on ne sait pas d’où ça vient ! «
Revenons à Struga, située en bordure du lac d’Ohrid, un des plus anciens et profonds au monde. Partagé entre l’Albanie et la République de Macédoine, il possède une variété de flore et de faune unique au monde, des «fossiles vivants» et de nombreuses espèces endémiques. En raison de sa valeur naturelle et historique, le lac d’Ohrid est sous la protection de l’Unesco.
Il y a là un camping, mais il est assez spécial, c’est la première fois qu’on voit ça : il y a une foultitude de vieilles caravanes, toutes pareilles, alignées sous des abris en tôle pour les abriter du soleil. Entre chaque caravane, un tout petit espace avec table et bancs, et le tout est clôturé. Même les fenêtres des caravanes sont équipées de grilles, on dirait que les gens sont en prison, ils dorment et dînent derrière des grilles et des barreaux. Ce sont manifestement des locations, nous ne verrons que deux camping-cars et quelques autres campeurs autonomes, une infime minorité donc. Les installations du camping sont assez basiques et manquent d’entretien, tout ça ne respire certes pas la richesse mais c’est une possibilité de passer des vacances au bord du lac pour des familles qui ne peuvent aller à la mer. Ce qui est embêtant, c’est qu’ici comme ailleurs dans ce pays, il y a des chiens partout et que ces animaux là font un boucan pas possible jour et nuit. Ils sont pacifiques, voire même peureux, c’est simplement dommage qu’ils ne soient pas muets.
C’est suite à la rencontre d’Alban et à moult réflexions que nous décidons de changer d’itinéraire ; en effet, tels que nous étions partis, nous allions entrer en Grèce par le nord. Mais est-ce judicieux ? Nous ne « devons » pas arriver à Athènes avant la fin du mois afin de faire un bilan pour Irène, il est donc tentant de retourner sur la côte ouest de l’Albanie et aborder la Grèce dans la foulée, avec une éventuelle escale à Corfou. Allez, c’est décidé, on retraversera donc le massif montagneux qu’on a franchi il y a deux jours, mais par une route un peu plus au sud, afin de rejoindre la côte. Si vous avez jeté un oeil sur la carte « Ouskison ? », vous avez pu constater que ce n’était certes pas le chemin le plus court pour traverser l’Albanie, mais ça tombe bien parce qu’on aime beaucoup ce pays et qu’il eut été dommage de ne pas s’aventurer dans l’arrière pays.
Nous voici donc quittant la Macédoine plus rapidement que prévu, mais gardant au coeur un excellent souvenir des macédoniens qui sont chaleureux et nous encouragent vivement tout au long de notre progression. Nous ne pouvons que leur souhaiter une évolution positive du pays, il y a de quoi faire.
Le départ se fait moyennant de sacrés efforts
Komenkifon ?
A ceux d’entre vous qui peuvent se demander comment on fait pour rencontrer tous ces gens et discuter avec eux, nous ne pouvons donner de recette magique, mais il suffit généralement de montrer de l’intérêt aux personnes pour qu’elles ne demandent qu’à s’exprimer.
C’est particulièrement vrai dans ces contrées où le contact est facile, à tel point qu’on doit parfois abréger car on ne peut pas toujours rester à bavarder alors que le soleil monte et la chaleur s’accroit, on doit aussi avancer un peu.
Quant à la langue, c’est parfois un obstacle, quand on n’a aucun dialecte en commun on ne peut évidemment s’exprimer que de manière assez basique, mais on s’en sort généralement via le français (idéal mais rare), l’anglais (plus courant) ou l’italien (que nous ne parlons pas, mais commençons à comprendre un peu), voire l’allemand (la tablette est alors utile pour traduire).
(cliquer pour voir en grand)
Il est également certain que si nous n’étions à vélo nous aurions beaucoup moins d’opportunités de rencontres spontanées : notre lenteur et notre proximité avec les gens facilitent le contact, il suffit de poser pied à terre pour commencer à discuter. Parfois ce ne sont que quelques minutes, d’autres fois ça se solde par une soirée passée ensemble…
Comme l’écrit Pierre Fillit, « Un pays, c’est pour moi un visage, un sourire, un prénom, bien plus que des villes, des montagnes, des forêts ou des rivières ».
Petit bilan Macédoine
86 km parcourus à vélo (seulement).
43 km en moyenne par jour de déplacement.
2 jours de voyage (123 jours depuis le départ).
2 nuits sous tente.
Aucune crevaison.
Matériel : RAS, rien cassé, rien perdu.
Crevé le long de la route ? Pas de problème, il y a un réparateur à mi-chemin
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