Le cinquième élément

Dans cet épisode, nous allons être confrontés aux quatre éléments de base que sont le feu, l’eau, la terre et l’air. Plus un cinquième auquel on ne s’attendait pas et qui va pourtant prendre une place considérable dans cette partie de notre voyage. Mais de quoi s’agit-il donc ? Lisez et vous saurez : Avec le confinement dont vous êtes victimes, vous avez le temps 😉


Du rab de 13

Après avoir quitté Viang Vien, retour sur la Nationale 13 qui demeure fidèle à sa réputation : Chantiers, poids lourds, côtes.

Pour mettre un peu de douceur dans ce monde de brutes, de petits marchés se succèdent le long de la route. Curieusement, tous les étals proposent exactement la même chose, on se demande bien comment choisir. Sauf que le problème ne se pose pas, on n’est guère attirés par les étals de poissons séchés, ni même par ceux de charbon de bois (abondamment utilisé par les Laotiens pour la cuisine).

On apprécie ces petites échoppes le long de la route qui proposent des légumes, fruits et boissons fraiches. C’est l’occasion d’entrer en contact avec les gens d’une manière simple. Les enfants n’ont pas école aujourd’hui, ils s’essayent d’abord timidement à l’anglais par un « hello », puis quand on leur demande « what is your name ? » les voilà redevenus timides et ils n’osent pas répondre. Pourtant en nous présentant et en les incitant à nous répondre c’est dans l’hilarité que l’échange se fait surtout que notre prononciation de leur prénoms reste approximative. C’est encore plus drôle lorsqu’on demande les prénoms de la grande mère et de la maman !

Accessoirement, une casse de rayon provoque une pause dans un patelin ; quelques minutes plus tard c’est réparé, visiblement l’expérience acquise en Californie et au Mexique n’est pas oubliée.

Hinheup, ville sinistrée

Nous profitons quand même de paysages verdoyants à l’occasion quand on longe une rivière, les cultures vivrières sont importantes ici. Quand il y a de l’eau il y a de la vie. Les bougainvilliers égayent le bord de route dans les hameaux. Pourtant les buffles et les vaches qui se promènent dans les rizières à secs n’ont pas grand chose à manger, mais on leur fait confiance pour savoir où trouver leur pitance.

L’étape du jour aura lieu dans une ville vilaine comme tout. Ce n’est pas de la faute des gens qui vivent là, mais plutôt celle des chantiers chinois aux alentours, notamment la ligne de train. Hineup est sans cesse traversée par des camions qui ont complètement massacré les rues, à la place du goudron il n’y a plus qu’une espèce de mélange de terre et de cailloux.

Après avoir eu un peu de peine à trouver une chambre parce que certains hôtels sont réquisitionnés pour les ouvriers, une petite visite des environs confirme que ce n’est pas la prospérité par ici. Nous avons pris la douche qui s’imposait vu la couleur poussière dont nous étions saupoudrés, mais après la balade dans le patelin une autre douche s’imposait, incroyable de vivre ici. On suppose que le chantier dure depuis des mois, si ce n’est des années, un nouveau pont est en voie de finition. La vie de ces habitants est perturbée à un point qu’on ne peut imaginer, tout est poussière, les maisons, les arbres ploient sous la couche rouge qui recouvre les feuilles, la poussière doit entrer dans les habitations, le linge qui sèche dehors change de couleur, pas la peine de le laver !!!


Bon, c’est bien gentil cette Nationale 13 mais si on continue comme ça on va se coltiner de plus en plus de camions, ce n’est pas très drôle surtout que la montagne va céder la place à une immense plaine bien moins intéressante.
Alors on va se prendre un itinéraire bis que Bison Futé ne connaît sûrement pas, et pour cause : Il n’y a guère de cyclistes à passer par là, tout simplement parce que c’est impossible à vélo. On ferait bien les malins en vous affirmant qu’impossible n’est pas français et que rien ne nous arrête, mais la vérité est plus prosaïque : Nous avons lu sur le blog d’un voyageur à vélo qu’il était passé par une route qui était, selon lui, la plus belle du Laos, et il indique comment il s’y est pris.

L’inconvénient est qu’on ne va pas visiter Vientiane, la capitale, donc on ne pourra pas faire de shopping dans les magasins de fringues (pourtant Joël meurt d’envie d’un jean à trous, Irène d’une robe qui tourne, Lucy de refaire sa couleur, Tim rêve de grands tonneaux de bière) ni boulotter de hamburgers-frittes, quel dommage !

Premier élément : Le feu

Il ne s’agit pas d’incendies comme en Australie il y a quelque temps, ni même d’incendies tout court, mais d’une sacrée boule de feu qui nous chauffe la couenne du matin au soir : Un soleil implacable, le même jour après jour (ici les prévisions météo sont simples), qui nous contraint à arrêter de pédaler au plus tard vers 13h quand c’est possible (à 11h ça cogne déjà dur).
Et dire que ce n’est pas la saison la plus chaude, ça promet…

Il est beau le soir

Second élément : l’eau

Contrairement à ses voisins, le Laos n’a pas d’accès à la mer. Qu’à cela ne tienne, ça ne manque pas d’eau dans la région alors les Laotiens ont créé leur propre mer. Le lac Ang Nam Ngum a été créé suite à la construction d’un barrage dans les années 80. Si sa surface de 370 km2 est considérable, sa profondeur n’est que de 16 mètres.

Malgré une brume persistante (pour une fois le feu du soleil nous manque) le paysage est superbe, avec une multitude d’îlots qui affleurent à la surface de l’eau ; ce sont les collines des vallées qui ont été immergées.

Si arriver là à vélo n’est pas une sinécure, y séjourner ne laisse pas beaucoup de choix, un unique resort aux prix plus occidentaux que laotiens nous hébergera pour une nuit. Il est construit à flanc de colline et grimper avec notre barda de sacoches nous achève, et encore, nous aurions pu grimper encore plus haut pour avoir une vue imprenable sur le lac; on déclare forfait on se contentera de rester à mi chemin. L’établissement est plutôt luxueux, avec quelques volées de marches encore à grimper pour y découvrir une piscine dans laquelle Tim se verra contraint de plonger le soir venu, après avoir perdu au Bush Rummy (pas de photos, il n’avait pas de maillot et de toute façon il faisait nuit).

 

Vu que la route s’arrête là, impossible de poursuivre à vélo, on va donc prendre le bateau. Pas celui des touristes, qui fait un petit tour sur le lac, plutôt celui des locaux qui vont d’une extrémité du lac à l’autre. Nous avons été abordé par un gentil monsieur sur sa moto lorsque nous arrivions en haut de côte. Il nous a proposé bien sur ses services pour traverser le lac sur son bateau. Nous l’avons surnommé « le millionnaire ». En effet pour deux heures et demie de trajet il voulait nous soulager de un million cinq cent milles kips ! Whaou, un bateau pour nous tous seuls….on va réfléchir guy ! On va trouver une traversée moins chère pour nous quatre à deux cent quarante mille, en plus nous ne serons pas seuls, nous allons voyager avec les locaux d’une manière bien plus rigolote, hein Lucy ?

C’est autrement plus folklorique, avec un embarquement tel qu’on n’en avait pas encore connu : Les vélos sur le toit, ça ne nous surprend pas, mais les huit scooters dans le bateau, plus une vingtaine de passagers, plus des tas de sacs de viande et de légumes entassés partout, c’est plein comme un oeuf. Au moment de partir, un type arrive en scooter, trop tard, pas de place ! Mais si, il va s’ajouter au bazar ambiant, quand il n’y en a plus il y en a encore.
Avec tout ça il faudra sacrément pousser le bateau pour qu’il arrive à démarrer, tellement il est lourd.

La traversée est égaillée par les chants du coq, les passagers sont bien sages, tout se passe bien jusqu’à l’arrivée deux heures et demi plus tard. Là encore, pas d’embarcadère, tout le monde descend en pataugeant dans l’eau. Terminus ? Ce n’est pas ce qu’on avait compris, notre destination est à 30 kilomètres de là, en amont de la rivière.

C’était un malentendu, le bateau est trop gros pour naviguer sur la rivière, donc on se retrouve dans un patelin paumé au bout d’une route paumée en début d’après-midi sous un soleil de plomb. Gloups ! Et tout le monde s’en va, nous voilà tous seuls !!!

L’élément Air

On a l’air malins, plantés là en plein air sans savoir que faire. Quand, l’air de rien, un autre passager du bateau vient nous proposer son aide ; il parle très bien français (il a été prof de français) et a l’air très désireux de nous aider.
Pendant qu’Irène, Tim et Lucy montent les vélos et bagages au bord de la route dans l’attente d’une hypothétique solution, Joël s’en va avec notre bienfaiteur sur son scooter pour revenir à bord d’un petit camion. Comme quoi il y a toujours une solution même dans les plus petits villages paumés des montagnes du Laos où la gentillesse n’a pas de prix ! Et voilà, tout le monde a l’air soulagé, n’est-ce pas Lucy ? !

Les filles dans la cabine, les gars en plein air dans la benne, c’est parti pour la prochaine petite ville de Longxam. Conformément à ce qu’affirmait le GPS, le dénivelé est maousse costaud, on aurait pu le faire à vélo en partant tôt le matin (et en y mettant deux jours) mais certainement pas sous le soleil d’après-midi. A l’arrivée, notre prof de français est là, lui il se déplace à scooter, il voulait s’assurer que tout allait bien et nous suggérer une guest house, quelle gentillesse ! Ce fut notre bonne étoile du jour, merci monsieur le professeur, on ne vous oubliera jamais ….

L’élément Terre

Après une nuit sur un lit bien dur et le chant des coqs matinaux, nous sommes enfin au pied de cette route réputée superbe, on sait que ça va pas mal grimper mais on est prêts, on part de bonne heure, ça va être bien. Un petit tour au marché matinal pour y manger fruits, trucs grillés ou frits, saucisses, petites bouchées à base de farine de riz et de coco histoire de remplir nos réservoirs à calories.

Au début, en effet, pas de surprise, on alterne entre pédalage et poussettes plus ou moins longues. Il est 7h du matin et on transpire déjà à grosses gouttes ; cette montée est prometteuse. La route est bien goudronnée et il n’y a quasiment aucun trafic. C’est après que ça se gâte, quand le goudron cède la place à la terre et que les camions, encore plus poussifs que nous, nous klaxonnent au derrière !

La route n’est en fait goudronnée que sur de rares sections, celles qui sont tellement en pente que les camions ne pourraient les franchir sans glisser ou gravement endommager la route lorsqu’il pleut. Là il ne pleut pas (toujours le feu…) mais un camion passe pour arroser la terre ; travail sans cesse à recommencer, tellement ça sèche vite, mais on va vite en comprendre tout l’intérêt.

Le cinquième élément

Mélange des deux précédents, la terre et l’air, cet élément inattendu va faire tout le « charme » de cette route : La poussière est omniprésente, elle recouvre la route comme la végétation et ne demande qu’à se soulever au moindre passage de véhicule.

« Tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière » (Genèse 3.19)

Des véhicules, il se met à en passer, uniquement des camions. Ils soulèvent des nuages de poussière, lorsqu’ils arrivent à notre niveau on ne voit plus rien, on essaie de rester en apnée mais ça ne dure pas longtemps. L’avantage des camions est qu’on les entend arriver de loin, avec leurs moteurs qui peinent dans les côtes, c’est ce qu’on finit par appeler « le bruit de la poussière ».

Nous en mangeons pendant quarante bornes de la poussière, elle est rentrée par tous nos orifices, même faire pipi est risqué ! Quand enfin au terme de ce grand bain nous retrouvons « la civilisation » nous stoppons net dans le premier « bistro de route » pour engloutir une boisson fraiche, rigoler avec les gamins et jouer à la pétanque avec eux. Le monsieur bricole le moteur de sa moto qui devrait finir par redémarrer un jour s’il arrive à tout remettre en place. La dame nous fait une petite place pour nous asseoir confortablement sur son lit en tressage de bambou. Au passage toute monde rigole de voir nos tronches, nous, nous ne sommes pas encore conscients de la tête que nous avons.

C’est à l’arrivée, quand nous avons trouvé une chambre pour nous accueillir, que nous constatons notre métamorphose ; de petits blancs nous voici peaux rouges. Le masque de protection qu’Irène a sorti n’a plus rien de blanc, ça en dit long sur ce qu’on a dû absorber. Mais on se dit que ce doit être une bonne protection contre le virus.

Inutile de vous donner la couleur de l’eau de la douche après ça. Les sacoches et les vélos ont eu droit eux aussi à un grand lavage au jet. Notre hôte a eu pitié de nous sans doute affolé de nous voir dans cet état. Il manque une photo de Lucy qui s’est enfuie sous la douche, ratatinée par cette aventure sur cette piste démentielle. Nous étions trois à en rire de bon coeur, c’est pourtant mieux pour l’unité du groupe quand on rigole tous.

Conclusion :  Ah oui, c’était une chouette route, on n’est pas près de l’oublier, mais il faut bien reconnaitre qu’on ne l’avait pas envisagée comme ça, nous adorons les surprises de ce genre…un peu fadas quoi !

14 Comments

  1. C’est tellement important de prendre de l’oxygène dans nos confinements respectifs que MERCI à vous de prendre le temps de nous aérer.

    Prenez soin de vous

    Philippe.

  2. Moi j’enlève le masque, j’ai pas de marque! Mais mieux vaut le garder par ces temps qui cours! Continuez à prendre du bon temps ! Bisous

  3. Bravo à vous quatre d’avoir bravé les cinq éléments que sont les montées, les revêtements, les camions, la chaleur et la poussière… et surtout d’avoir pris le parti d’en rire!
    Ayant approché ces situations, mais pas toutes en même temps, j’imagine les difficultés.
    En tout cas la poussière a contribué à vos magnifiques photos. 😀
    Et tapissé vos bronches pour les isoler des virus 😉
    Merci pour ce partage.
    Et bonne inspiration pour décider de la suite…

  4. Vous avez eu sur ces pistes une bonne dose d’aventures !!! Mais pas mécontente de ne pas vous avoir suivis sur cette route ! 😅
    Bonne continuation , en espérant que le virus ne fera pas trop changer vos plans…Et prenez soin de vous !

  5. Pas besoin de coloration Irène ! Tu es très belle avec ce teint. Le confinement à cela de bon, on a plus le temps de vous lire et c’est un plaisir !
    Bises virtuelles,
    Les Lebreton

  6. Vraiment sympa le voyage et son histoire ! c’est encore possible ? si loin, si différent… J’ai le sentiment d’un autre monde révolu. Ici, dans 40 jours, notre monde aura changé.
    ça fait plaisir de vous voir et vous « entendre »; magnifiques photos et texte.

  7. Petit mantra pousse-pousse pour la route:
    Que ce qui vous « POUSSIÈRE  » vous pousse encore et toujours et vous aide à garder un moral toujours à LAOS

    Et que le matériel vous suive!
    Il n’y a que le soleil qui n’a pas de problème de rayon

    Ici c’est un peu le contraire avec des gendarmes qui nous rappellent à l’ordre si nous ne sommes pas dans un périmètre de 500 m de notre habitation (Excepté pour quelques courses)avec les certificats remplis… les amendes sont dissuasives.

    La supérette de Septeuil n’est pas assez conséquente pour la population qui a soudainement intensifié sa présence
    Les « rayons » sont plutôt dévalisés
    Pas facile de faire mordre la poussière à ce virus…

    Vos masques, c’est aussi pour croiser les Chinois ?
    Heureusement vous êtes protégés par une chaleur accablante pour le virus

    Bises et merci pour ces moments de dépaysement

  8. Bravo les peaux rouges !! Bonne suite
    Nous on adore vos nouvelles! C’est notre livre de chevet et un beau passe temps alors que nous devons rester chez nous!! Bisous

  9. Bonjour les « peaux rouges ».
    Quel voyage dépaysant !
    Vous avez déjà mordu la poussière, mais comme sur cette route, surement pas !
    Vos photos sont très réussies, on vous sent joyeux, la vie est belle… Continuez de nous faire découvrir ce pays si loin de tout. On n’imagine même pas le Covid-19 croître et se multiplier là-bas. Vous avez la baraka.

    On vous embrasse. Bon voyage.

  10. I really liked following you through Laos.
    Fantastic pictures and really enjoyed your descriptions of daily life in Laos.
    I hope that you will write a book about the whole trip.
    Now it is Viet Nam , n’est c’est pas ?
    I can’t hardly wait.

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